Illustration of scales of justice against backdrop of diverse, multi-coloured faces

Si le Canada fait preuve de diversité, pourquoi sa plus haute cour n’en est-elle pas le reflet ?

  • 31 mai 2022
  • Mariam Moktar

Le Canada. L’un des pays les plus diversifiés du monde sur le plan culturel et ethnique. Un endroit qui a officiellement approuvé le multiculturalisme et où la diversité n’est pas seulement acceptée, mais aussi célébrée.

Pourtant, cette diversité ne se reflète pas au sein de notre plus haut tribunal. Jusqu’à l’année dernière, avant la nomination du juge Mahmud Jamal, tous les juges qui ont été nommés à la Cour suprême du Canada étaient blancs.  

Bien que le Canada ait assuré une diversité régionale au sein de la Cour, celle-ci n’est pas la seule diversité qui compte. La Cour, qui a le dernier mot sur de nombreuses questions touchant les Canadiens de tous les horizons, devrait refléter la diversité de notre pays. Pourquoi ? Parce que nous savons qu’une magistrature diversifiée ne fait que renforcer la confiance du public envers notre système juridique, et que la diversité améliore la qualité des décisions prises par ces juges.

Au cours de ses 147 années d’existence, la Cour suprême n’a jamais eu de juge autochtone ou noir. Il est temps que cela change. Comme aux États-Unis d’Amérique, l’esclavage et la ségrégation raciale ont existé au Canada, et les propriétaires d’esclaves considéraient les Autochtones et les Noirs comme des biens. C’est une partie de notre histoire qui est souvent ignorée ou simplement non enseignée dans les écoles. L’héritage du racisme au Canada se poursuit malheureusement jusqu’à aujourd’hui. Le racisme systémique est tissé dans le tissu même de notre société, et il sous-tend nos institutions. Les Autochtones et les Noirs continuent d’être représentés de manière disproportionnée dans les systèmes de la justice pénale et de la protection de l’enfance. Ils sont également plus susceptibles d’être victimes de violence policière. Pourtant, ces groupes historiquement marginalisés ne sont pas représentés dans notre plus haute Cour.

En fait, la magistrature canadienne, historiquement entièrement blanche, a eu du mal à gérer la question de la race. En 1997, la Cour suprême, dans l’affaire R. c. S. (R.D.), s’est penchée sur la question des préjugés raciaux dans le processus décisionnel judiciaire, en relation avec la juge Corrine Sparks, la première femme juge noire du Canada. La juge Sparks a acquitté un jeune Noir de 15 ans qui était accusé d’avoir agressé un agent de police. Dans son jugement oral, la juge Sparks a puisé dans son expérience vécue et a déclaré : « Je ne dis pas que l’agent de police a induit la cour en erreur, bien que l’on sache que des agents de police l’ont fait dans le passé. Je ne dis pas que l’agent a réagi de façon excessive, mais il est certain que les agents de police réagissent de façon excessive, surtout lorsqu’ils ont affaire à des groupes non blancs. » La Couronne a contesté ces commentaires comme soulevant une crainte raisonnable de partialité.

Bien que six des neuf juges de la Cour suprême aient confirmé la décision d’acquittement de la juge Sparks, deux des juges de la majorité ont déclaré que ses commentaires « ont frôlé la limite » et plusieurs juges ont critiqué ses réflexions sur le racisme systémique au sein de la police. Récemment, la professeure Constance Backhouse a examiné attentivement cette affaire dans son article intitulé « Turning the Tables on RDS: Racially Revealing Questions Asked by White Judges », et a conclu que les commentaires informels des juges de la Cour suprême au cours de l’audience « illustraient bon nombre des modèles que les éducateurs antiracistes décrivent comme indicatifs d’un manque de compréhension du racisme ».

Il s’avère que la juge Sparks avait raison. La Cour suprême a depuis reconnu le racisme systémique au Canada et s’est récemment penchée sur le profilage racial par la police dans les affaires R. c. Le et R. c. Ahmad. Cependant, les progrès sur ces questions n’auraient probablement pas exigé autant de temps si nous avions une magistrature représentative.

Mais le présent appel à la diversité va plus loin. Nous avons besoin de plus que des juges qui ont simplement une apparence différente. Comme l’a souligné le juge Shirzad Ahmed dans son récent discours sur la diversité raciale dans la magistrature, nous avons également besoin d’une magistrature diversifiée sur le fond. Nous avons besoin de juges qui seront habilités à apporter leurs perspectives uniques ainsi que leurs expériences vécues et communautaires à la table.    

Au début de ma carrière, j’ai eu le privilège d’être stagiaire à la Cour supérieure de justice de la région Centre-Ouest. Bien que le personnel du tribunal m’ait souvent prise pour la petite amie ou la parente de l’accusé dans les affaires criminelles, j’étais reconnaissante de travailler pour des juges qui me ressemblaient et qui avaient une expérience similaire. Grâce à ce stage, pour la première fois de ma vie, non seulement je me suis vue reflétée dans la magistrature, mais j’ai pu me voir comme juge un jour. La représentation compte véritablement.

En 2016, le premier ministre Trudeau a réformé le système de nomination des juges afin d’accroître sa transparence et de recruter un groupe de candidats plus diversifié. Avec la retraite prochaine du juge Michael Moldaver, M. Trudeau doit faire sa marque en nommant un juge autochtone ou noir à la Cour suprême. Pour qu’un changement systémique se produise, nous avons besoin d’une masse critique de voix diverses à toutes les tables de décision.

Photo of author Mariam MoktarÀ propos de l’autrice

Mariam Moktar est avocate spécialisée dans les litiges civils chez Paliare Roland Rosenberg Rothstein. Elle préside le comité d’investissement de l’ABO et est vice-présidente du comité d’égalité de l’ABO. Mariam est également membre du groupe de liaison sur l’égalité de l’ABC, de la Roundtable of Legal Diversity Associations (RODA) et du comité de défense des droits de la Canadian Muslim Lawyers Association.