Recueillir des preuves sur Internet et sur les médias sociaux dans des instances en matière familiale

  • 22 décembre 2015
  • Adam Black et Jenna Himelfarb

Bien que ce soit une réalité assez nouvelle, il ne faut pas sous-estimer l’importance des preuves recueillies sur Internet ou sur les médias sociaux. Surtout pas en droit de la famille. En effet, dans une décision récente, le juge Sandomirsky de la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan a souligné ceci :

[TRADUCTION]

Au cours des dernières années, les preuves recueillies sur les médias sociaux, sur Facebook ou sur Twitter, sont de plus en plus utilisées dans des instances en matière familiale. Les comportements et les commentaires indélicats publiés sur Facebook, encouragés par des personnes qui commettent les mêmes  inconvenances, voire plus d’inconvenances, ouvrent la voie à une nouvelle forme de preuve et à une intrusion dans la vie des futures parties à un litige. Divers messages […] sur Facebook ont été déposés à la Cour. Indépendamment de ces messages qu’a fait ressortir l’avocat de la requérante, la Cour a lu tous les messages publiés sur Facebook, dont des réponses correctes et des réponses plutôt méchantes d’amis invités sur la page Facebook […]. Ce qui peut maintenant paraître évident pour les parties, avec le recul, est l’effet nuisible de laver son linge sale en public[1].

Il semble se dégager de la jurisprudence que beaucoup de parties à un litige en matière familiale ont subi les mêmes effets nuisibles de la publication de messages irréfléchis sur les médias sociaux. Voici un résumé de quelques-uns de ces cas :

  • Westhaver c. Howard, 2007 NSSC 357, la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse (Division de la famille) a examiné des commentaires grossiers et homophobes qu’un père a publiés sur un média social et a conclu que ceux-ci constituaient une preuve du manque de discernement du père[2]; la Cour lui a finalement refusé son droit d’accès auprès de l’enfant.

  • M(MJ) c. D(A), 2008 ABPC 379, la Cour provinciale de l’Alberta a rejeté la requête d’un père qui demandait la tutelle de son enfant et a ordonné un accès restreint, en se fondant en partie sur le fait que le père avait [TRADUCTION] « démontré et affiché publiquement (au moins à ses quelques 95 "amis" sur sa page Facebook) son mépris et son indifférence totale à l’égard de la mère » et sur le fait qu’il avait au même moment publié des photos de son enfant sur Internet, liant ainsi [TRADUCTION] « l’enfant à sa rancœur […] et l’exposant, malgré son jeune âge, à des propos d’adultes[3] ».

  • W(JWA) c. B(A), 2008 NBBR 157, la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick (Division de la famille) a admis en preuve des photos trouvées sur Internet qui montrent la mère en train de danser dans un bar, de boire de l’alcool et de fumer de la marijuana[4], ce qui a servi de fondement pour conclure qu’il était dans l’intérêt supérieur de l’enfant de vivre principalement chez le père.

  • Byram c. Byram, 2011 NBBR 80, la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick (Division de la famille) a examiné les calomnies que le père a publiées sur Internet à l’égard de la mère lorsqu’elle a rendu son ordonnance de garde exclusive à la mère.

Comment les avocats devraient-ils aborder le fait que les preuves recueillies sur Internet sont de plus en plus admises et prises en compte dans les instances judiciaires? Et quels conseils pourraient-ils donner à leurs clients à cet égard? Réponse simple :

  1. effectuer une recherche approfondie sur Internet et le consulter régulièrement afin de vérifier s’il y a des preuves pertinentes;

  2. évitez notamment la publication de nouveaux messages ou gazouillis regrettables par la suite.

À la recherche de preuves sur Internet – le devoir de « googler »

Dans l’affaire R. c. Marshall[5], la Cour d’appel de l’Ontario a refusé d’admettre de nouvelles preuves en appel au motif que les preuves proposées [TRADUCTION] « étaient accessibles au moment du procès et [qu’elles] étaient publiées sur Internet[6] ». Les commentaires de la Cour énoncent clairement que si les renseignements étaient publiés sur Internet au moment du procès, ils seront réputés avoir été accessibles à ce moment-là, que la partie au litige les connaisse ou non. La Cour a-t-elle créé un « devoir de googler » ? Là est la vraie question. Si un pareil devoir existe, est-ce qu’un avocat a désormais l’obligation envers son client de faire une recherche sur Internet pour trouver des renseignements pertinents ?

Au sens du Code de déontologie, on entend par l’expression « avocat compétent », un avocat qui « met les connaissances, habiletés et attributs nécessaires au service de chaque affaire », y compris ce qui suit :

examiner les faits, définir les questions à régler, déterminer les objectifs du client, étudier les options possibles, formuler les plans d’action pertinents et en aviser le client[7].

Il n’y a cependant aucune mention quant à l’utilisation de technologies dans cette règle et dans les commentaires qui s’y rapportent. On ne sait pas encore si l’affaire Marshall sera interprétée – même si c’est peu probable – de manière à imposer aux avocats (et pas seulement aux clients) une obligation visant à rechercher sur Internet des preuves pertinentes. Dès le début de leur relation avec leurs clients, les avocats se doivent, à tout le moins, de leur suggérer d’effectuer une recherche approfondie sur Internet et de le consulter régulièrement afin de vérifier s’il y a des preuves pertinentes à leur dossier. Les avocats devraient envisager l’ajout d’une disposition à cet égard dans leurs contrats de services.

L’incidence de se faire « googlé »

Il se peut que l’affaire Marshall ait également créé un devoir connexe d’aviser les clients des risques liés à la publication de renseignements sur Internet, notamment que ceux-ci seront « googlées » par la partie adverse et seront utilisés contre eux. Bien que la destruction de preuve susceptible d’être pertinente ne soit pas permise, bien sûr il est nécessaire de la conserver, il s’avère sans aucun doute prudent de prévoir une disposition dans les contrats de services qui vise à aviser les clients de ne pas publier sur Internet de nouveaux messages, gazouillis ou autres textes qu’ils pourraient regretter par la suite.

Une demande d’autorisation d’appel devant la Cour suprême du Canada a été déposée en septembre contre la décision Marshall. Les avocats qui pratiquent en Ontario, et au Canada de façon générale, devraient porter une attention particulière à cet appel et aux conséquences potentielles sur leurs obligations professionnelles.

 


 

[1] Legien c. Legien, 2012 SKQB 326, par. 35.

[2] par. 26.

[3] par. 52.

[4] par. 21 et 22.

[5] 2015 ONCA 518, demande d’autorisation d’appel devant la CSC [Marshall].

[6] par. 19.

[7] Barreau du Haut-Canada, Code de déontologie, Toronto : BHC, 2014, c. 3, al. 3.1-1b).


Adam BlackJenna HimelfarbÀ propos des auteurs

Adam Black est avocat spécialisé en droit de la famille chez Torkin Manes LLP.

Jenna Himelfarb est stagiaire chez Torkin Manes LLP.

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