Cinq erreurs coûteuses des juristes d’entreprise

  • 26 novembre 2015
  • Jeremy Martin

Il y a quelque temps, un client a appelé au bureau avec cette idée folle. Comme juriste d’entreprise, il s’apprêtait à répudier un contrat au nom de son client, mais a cru bon de consulter au préalable un avocat spécialisé en contentieux pour avoir son avis sur la lettre de répudiation.

Cet appel pourrait bien avoir fait économiser un demi-million de dollars en frais juridiques.

Nous avons passé la journée à dresser le portrait contextuel  du contrat et avons suggérer certains changements vitaux. La lettre révisée fut envoyée en fin de journée. Le délai de prescription est maintenant échu et toujours aucun signe de poursuite à l’horizon.

Initialement rédigée, la lettre aurait vraisemblablement commencé une dispute complexe quant à l’interprétation du contrat et la preuve extrinsèque, avec suffisamment d’enjeu financier pour justifier des années de procédures d’arbitrage.

Je ne pouvais m’empêcher de me poser la question - pourquoi cela n’arrive-t-il pas plus souvent ? Pourquoi n’appelle-t-on pas plus souvent les avocats spécialisés en contentieux pour prévenir les incendies plutôt que de les éteindre ? Si en matière de santé et en soins dentaires, on met tellement l’accent sur la prévention pour minimiser les coûts et les problèmes, pourquoi la prévention des litiges ne représente-t-elle que 0 % de ma pratique ?

Dans son quotidien, l’éventualité d’un contentieux est la dernière chose à laquelle pensent les juristes d’entreprise, en particulier quand l’entreprise est de taille moyenne et que le juriste a différents rôles au quotidien. Les événements  et les questions financières s’enchainent trop vite pour que le juriste ne se rende compte de l’infime chance que le contentieux naissant ne finisse devant les tribunaux.

Peut-être faudrait-il prendre certaines situations bien précises comme des signaux d’alerte qu’il est temps de ralentir suffisamment afin de considérer si du travail de prévention est nécessaire.

J’ai échangé avec plusieurs avocats spécialisés en contentieux, ainsi que des juristes d’entreprise afin de prendre connaissance des erreurs faites dans le feu de l’action qui auraient pu être évitées au lieu de revenir les hanter. Quelles démarches auraient pu être prises sur le moment qui aurait permis d’éviter des mois de procédures devant le tribunal ?

1.  Un document de spécialiste avec un prisme de généraliste

Une des préoccupations la plus souvent exprimée par les praticiens tant en entreprise qu’ailleurs, est la difficulté pour les non spécialistes de rédiger des documents qui pourraient constituer le cœur d’un contentieux.

Qu’il s’agisse d’une lettre de répudiation d’un contrat, d’une lettre de licenciement, d’une lettre refusant l’octroi d’options, ou de primes, ou toute communication avisant une personne qu’elle recevra moins d’argent que prévu, devrait vous alerter, surtout s’il existe un risque que ce document ne mette fin à la relation entre votre client et cette personne. Si la relation entre les deux est complexe ou que les montants en jeu sont importants, l’usage d’un précédent pourrait causer plus de problèmes que d’en régler, en particulier dans le contexte de l’emploi. Consulter un spécialiste pour quelques heures peut vous éviter des centaines d’heures de travail contentieux.

Lorsque vous résiliez un contrat important pour les activités d’une partie, agissez en prévision d’un contentieux et rassemblez la preuve. Les admissions ou les concessions volontaires ou inexactes faites dans le cadre de la défense de la position de votre client peuvent souvent constituer des éléments déterminants. Un juriste d’entreprise a eu la mauvaise expérience  d’entreprise d’entrer dans des détails inutiles au sujet des activités que la partie adverse avait perturbées par son défaut d’exécuter un contrat. L’avocat adverse s’est servi de ces révélations pour argumenter que le contrat avait été violé. Le différend s’est finalement réglé, mais pour un montant bien élevé qu’initialement.

Les mêmes précautions devraient être prises quant à toute lettre mettant fin ou ayant le potentiel de mettre fin à une relation commerciale importante. Si le différends potentiels en question ne relèvent pas de votre domaine d’expertise, songez à consulter un spécialiste. Étant donné les coûts et les délais associés à toute procédure judiciaire, deux heures de consultation d’un spécialiste sur chaque communication potentiellement litigeuse seront toujours moins chère qu’une procédure judiciaire rendue aux interrogatoires au préalable.

2.  Donner un avis juridique et un conseil en matière commerciale dans la même communication

C’est une vieille rengaine pour les juristes d’entreprise : privilège, privilège, privilège. La réponse la plus fréquente, de loin, à mon sondage informel concernait les questions relatives au privilège du secret professionnel de l’avocat. Toutefois, une des réponses posait une question nouvelle.

Dans cette affaire, la relation entre une entreprise et un partenaire commercial se détériorait. L’avocat d’entreprise était un conseiller juridique réputé en plus d’un juriste professionnel. Il répondait en temps réel pour donner son avis sur des questions de ressources humaines, de projections de responsabilité, de relations publiques et de tout ce à quoi l’entreprise devait réagir en cette période critique. Malheureusement, il avait tendance à le faire dans des courriels généraux, répondant à la fois à toutes les questions pour que ce soit plus pratique pour son client.

Il a regretté cette habitude lors des interrogatoires préalables. Ce n’est pas tant le risque de divulgation d’informations privilégiées qui importunait l’avocat mais l’obligation de caviarder des centaines de courriels.

Le simple fait d’envoyer des courriels distincts pour les questions commerciales et les questions juridiques aurait fait économiser des milliers de dollars durant l’enquête au préalable. Sur une base quotidienne, cela peut sembler peu commode. Pourtant cette mesure est bienvenue lorsqu’une poursuite se dresse à l’horizon.

Certains avocats suggèrent même d’utiliser un petit code (comme « #$ ») pour les courriels privilégiés, afin de faciliter les recherches et de réduire de façon importante, sinon totalement, les coûts de l’examen relié au privilège dans toutes les communications.

3.  Les communications privilégiées à la direction

Sur ce sujet, certains avocats trouvaient dommage qu’eux ou leurs clients ne fassent pas les démarches nécessaires pour signaler les documents ou les conversations privilégiées – non pas pour empêcher la divulgation à la partie adverse, mais pour empêcher la divulgation de ces documents par les dirigeants eux-mêmes. Il s’avère que des cadres à l’esprit compétitif trouvent parfois que les documents stratégiques constituent une lecture bien intéressante puisqu’ils parlent des produits et services des concurrents et démontrent les pratiques exemplaires et la bonne foi de l’entreprise.

Ils partagent même parfois ces documents avec des clients potentiels. Après tout, qui pourrait davantage souhaiter connaître les faiblesses des concurrents d’un client que le reste de son industrie ? Et si le document était l’un de ceux qui ont été distribués lors de la réunion de mardi, pourquoi pas ? Et les partenaires commerciaux du défendeur souhaiteraient certainement connaître les allégations à faire dans la poursuite qui se prépare, non ?

4.  Ne pas vouloir jouer les trouble-fête

Maintenant que l’exécution de bonne foi est une obligation contractuelle (Bhasin c. Hrynew, 2014 CSC 71), l’avocat d’entreprise a une nouvelle et difficile tâche de contrôler les communications. La pratique courante des dirigeants et des employés de se plaindre de l’autre partie par écrit doit cesser, car les déclarations d’amertume et d’antipathie les plus extrêmes peuvent maintenant être considérées comme étant des preuves préjudiciables relatives à l’exécution d’un contrat.

Tout avocat qui a examiné des documents au cours d’une enquête au préalable est coutumier des termes acrimonieux parfois utilisés par le client à mesure que la relation d’affaires s’envenime. Des déclarations démontrant qu’on fait attendre l’autre partie indument, ou que les employés rechignent à exécuter le contrat, tout comme l’attitude derrière ces énoncés, doivent être réglés rapidement pour que ces documents ne se retrouvent pas dans un affidavit de documents.

De la même façon, les conseils que de nombreux juristes d’entreprise donnent déjà aux employés et à la direction de séparer les courriels personnels et professionnels sont cruciaux : on ne peut trop les répéter. Ceux d’entre nous qui ont déjà fait de la révision de documents ont tout vu, des relations amoureuses aux moqueries des collègues ou des clients, en passant par des conversations racistes ou sexistes entre hauts dirigeants. Lorsque ces courriels sont classés comme documents publics, par exemple dans une action pour congédiement injustifié ou harcèlement, ces communications peuvent dépasser le cadre judiciaire et écorner l’image de marque de la société auprès du public. Certains dirigeants ont même envoyé des courriels à des partenaires commerciaux se plaignant des procédures judiciaires, entraînant ainsi de nouveaux clients sous les tirs croisés des examens préalables d’un contentieux commercial. Nous vivons dans un monde où les options sont infinies à travers les réseaux sociaux. Vos clients doivent comprendre que les courriels professionnels sont réservés au travail, et pour une bonne raison.

5.  Laisser les avocats spécialisés en contentieux agir comme ils en ont l’habitude

Ce sujet pourrait servir de titre à un autre article sur les erreurs les plus communes des avocats externes, imprimé en majuscules rouges, idéalement avec un hologramme ou une fenêtre contextuelle. Cela étant dit, les juristes d’entreprise ont également exprimé cette inquiétude, car ils partagent en partie la responsabilité de maintenir une relation avocat-client saine et une communication ouverte.

Il n’est pas rare qu’un juriste d’entreprise soit frustré parce qu’un avocat externe se dirige obstinément vers un procès ou vers le meilleur règlement possible. C’est le mode par défaut de l’avocat plaidant, et cela est souvent contre-productif. Bien qu’il soit du ressort de l’avocat externe de chercher les meilleures instructions possibles et de comprendre les priorités commerciales du client, les juristes d’entreprise doivent souvent mettre un terme à une réunion stratégique pour réitérer le fait qu’il n’y aurait aucun fonds pour un règlement lors du premier trimestre, ou que le client préférerait concéder un point plutôt que de gaspiller des fonds pour le défendre.

Ainsi, l’avocat d’entreprise n’est pas un gestionnaire de risque dans sa pratique quotidienne. Toutefois, de simple mesures de prévention peuvent éviter d’énormes dépenses et de pertes de temps notamment quand vient le temps de :

  • De rédiger des documents apportant des « mauvaises nouvelles » ou résiliant une relation;

  • De répondre à des demandes pour des conseils commerciaux et juridiques;

  • De fournir des conseils privilégiés à la direction;

  • De remarquer les communications internes acrimonieuses ou non appropriées; et

  • D’assister à des séances stratégiques énergiques avec l’avocat externe.


Jeremy MartinA propos de l'auteur

Jeremy Martin est un associé du groupe de litige de Cassels Brock & Blackwell.


Footnotes

[1] Aucun n’a accepté d’être cité. Les détails des différends ont été modifiés afin d’en protéger le caractère confidentiel.

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