La santé et la sécurité au travail à l’heure du coronavirus

  • 10 mars 2021
  • Cassandra Ma

Alors que la pandémie de COVID-19 achève sa première année, nous avons lentement assisté à la publication de décisions évaluant les politiques de prévention des maladies infectieuses. Un thème central se dégage de la jurisprudence applicable : l’obligation qu’a l’employeur de prendre toutes les précautions raisonnables dans les circonstances pour protéger un travailleur (c.-à-d. le « principe de précaution » prévu à l’alinéa 25(2)h) de la Loi sur la santé et la sécurité au travail) sera interprétée de façon large lorsque des blessures catastrophiques et des pertes de vie peuvent découler d’un danger inconnu.

LE dépistage OBLIGATOIRE De la COVID-19 EST JUGÉ RAISONNABLE

Dans Caressant Care Nursing & Retirement Homes c. Christian Labour Association of Canada, 2020 CanLII 100531 (ON LA) (« Caressant Care »), l’employeur exploitait un centre pour personnes âgées autonomes. En raison de son lien physique avec une maison de retraite, l’établissement de l’employeur était soumis à la directive no 3 du Bureau du médecin hygiéniste en chef. Cette directive prescrivait, entre autres, le dépistage actif de la COVID-19 pour tous les membres du personnel et les visiteurs entrant dans les maisons de soins de longue durée.

En juin 2020, l’employeur a informé ses employés qu’il commencerait à effectuer des tests de COVID-19 toutes les deux semaines et que les employés devraient fournir à la direction la preuve qu’ils avaient été testés. Les employés qui choisiraient de ne pas se conformer à l’exigence de dépistage seraient tenus de porter un équipement de protection individuelle (« ÉPI ») complet pendant toute la durée de leur quart de travail. 

La Christian Labour Association of Canada (« CLAC ») a déposé un grief collectif contestant la politique de dépistage de la COVID-19. La CLAC a fait valoir que la politique portait atteinte à la vie privée et à la dignité des employés en imposant un prélèvement nasal bihebdomadaire, d’autant plus qu’il n’y avait pas eu de cas de COVID-19 dans l’établissement. La CLAC a également fait valoir que la politique était injuste et n’atteindrait pas l’objectif de la prévention de la COVID-19, parce que les résidents de l’établissement n’étaient pas soumis au dépistage obligatoire.

La médiatrice Dana Randall a rejeté le grief, estimant que la politique de l’employeur était raisonnable dans les circonstances. Le caractère intrusif de l’obligation d’effectuer des prélèvements nasaux tous les 14 jours a été compensé par l’objectif de la politique de contrôle de l’infection par la COVID-19.

Un facteur crucial, sinon déterminant, dans l’analyse de la médiatrice Randall était la nature particulière de la COVID-19. Plus précisément, les autorités de santé publique étaient encore en processus d’apprentissage quant aux symptômes, à l’étiologie et au pronostic à long terme de la COVID-19. Les seules caractéristiques connues de la COVID-19 étaient que le virus était hautement infectieux, souvent mortel pour la population âgée, et transmissible par des individus asymptomatiques. Dans ces circonstances, il était déraisonnable d’attendre, pour mettre en œuvre la politique, qu’une éclosion soit déclarée au foyer, ou de limiter l’application de la politique aux seuls employés symptomatiques.

LE CARACTÈRE PRIMORDIAL DE LA PROTECTION DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DES EMPLOYÉS

Le raisonnement de la médiatrice Randall dans Caressant Care s’inscrivait dans le sillage d’une décision datant d’avril 2020 dans Ontario Nurses Association c. Eatonville/Henley Place, 2020 ONSC 2467 (« Eatonville »).

Dans Eatonville, l’Association des infirmières et infirmiers de l’Ontario (« AIIO ») et ses membres ont demandé une injonction exigeant qu’un certain nombre de foyers de soins de longue durée se conforment aux directives relatives à la COVID-19 émises par le Médecin hygiéniste en chef de l’Ontario. En particulier, l’une des directives contestées, la directive no 5, établissait des procédures obligatoires pour la fourniture et l’utilisation des ÉPI, notamment l’utilisation de masques respiratoires faciaux N95 par les employés des foyers de soins de longue durée et des hôpitaux.

La Cour a accordé l’injonction et a ordonné aux foyers de soins de longue durée, entre autres, de fournir aux infirmières l’accès à des masques N95 ajustés et à d’autres ÉPI appropriés lorsque ces respirateurs ou ÉPI étaient jugés nécessaires par une infirmière au moment de donner des soins. En appliquant le critère établi en matière d’injonction, la Cour a estimé que la balance des inconvénients favorisait les mesures qui donnaient la priorité à la santé et à la sécurité du personnel médical et des patients. Bien que les foyers de soins de longue durée aient contesté le bien-fondé d’allouer à l’AIIO des ressources limitées en ÉPI, la Cour a estimé que le travail des infirmières profitait à la société dans son ensemble et que, par conséquent, la fourniture d’un ÉPI adéquat servirait les intérêts de la collectivité au sens large.

Comme dans Caressant Care, l’approbation par la Cour de la mesure de santé et de sécurité contestée était, en partie, due au fait que les voies de transmission de la COVID-19 étaient largement inconnues. Puisque le principe de précaution s’applique même lorsque l’étiologie d’un danger en milieu de travail ne peut être établie avec une certitude scientifique, il était raisonnable d’exiger le port d’un masque N95 si cela pouvait prévenir la transmission par voie aérienne de la COVID-19. Essentiellement, la décision de la Cour a donné la priorité à la protection immédiate de la vie humaine plutôt qu’à la prévention d’une éventuelle pression sur les ressources.

LES RISQUES INCONNUS JUSTIFIENT PROBABLEMENT DES MESURES DE SANTÉ ET DE SÉCURITÉ PLUS STRICTES

Caressant Care et Eatonville marquent une rupture avec la jurisprudence récente, antérieure à la COVID-19, sur les politiques de prévention des maladies infectieuses. Par exemple, dans l’affaire Sault Area Hospital and Ontario Nurses’ Association, 2015 CanLII 55643 (ON LA), le médiateur James Hayes a annulé une politique de « vaccination ou de port de masque » qui obligeait les travailleurs de la santé à porter des masques médicaux pendant toute la saison de la grippe s’ils n’avaient pas été vaccinés contre la grippe cette année-là. Il a estimé que la politique de l’employeur visait à faire augmenter le taux de vaccination et qu’il n’y avait pas de lien concluant entre le port du masque et la protection contre la grippe. Une décision similaire a été rendue par le médiateur William Kaplan concernant la politique de « vaccination ou port du masque » dans l’affaire St. Michael’s Hospital c. Ontario Nurses’ Association, 2018 CanLII 82519 (ON LA).

Le facteur distinctif entre l’ancienne et la nouvelle jurisprudence semble être la nouveauté (et, par extension, la nature inconnue) de la maladie infectieuse en cause. On peut affirmer qu’au début de la pandémie, le peu de recherche sur la COVID-19 reflétait le manque de preuves scientifiques trouvées dans les cas de « vaccination ou port du masque » mentionnés plus haut. Néanmoins, les mesures obligatoires, dans Caressant Care et dans Eatonville, ont été jugées raisonnables en réaction à la nature mortelle de la COVID-19, même si les voies de sa transmission demeuraient incertaines. Le raisonnement employé dans Caressant Care et Eatonville suggère que, devant un danger inconnu, il est justifié pour les employeurs et les syndicats de demander que soient rehaussées les exigences de santé et de sécurité. Cela est logique en pratique, car, lorsque la vie humaine est en jeu, les parties qui interviennent sur le lieu de travail peuvent manquer de temps pour rechercher des mesures de prévention moins intrusives et évaluer comparativement le caractère raisonnable de chacune.

Qu’est-ce que tout cela signifie pour l’avenir ? À court terme, les règles strictes en matière de santé et de sécurité resteront probablement attendues et appliquées, en particulier lorsque le Canada entrera dans la troisième vague prévue de la pandémie. Toutefois, au fur et à mesure que la situation de santé publique sera maîtrisée, les politiques relatives à la COVID-19 pourraient vraisemblablement s’assouplir. Une chose est sûre : dans tous les cas, les employeurs, les syndicats et les employés seraient mieux servis en collaborant pour élaborer des solutions solides et rapides afin de protéger la santé et la sécurité de tous au travail.

À propos de l’auteure

Cassandra Ma est conseillère juridique en droit du travail et de l’emploi à la Société canadienne des postes. Avant de se joindre à Postes Canada, Cassandra a pratiqué le droit du travail et de l’emploi dans un important cabinet de gestion à Toronto. Elle est spécialisée dans les domaines de l’interprétation des conventions collectives, de l’arbitrage des griefs, de la gestion des handicaps et des droits de la personne. Elle est également la vice-présidente 2020-2021 de la section Accidents de travail de l’ABO.

Cet article a d’abord été publié sur la page des articles de la section Droit du travail et de l’emploi de l’ABO.