L’innovation dans la pratique juridique : pourquoi maintenant ?

  • 22 novembre 2019
  • Colin Stevenson

Je suis heureux de partager avec vous l’accent présidentiel que j’ai choisi pour l’année à venir. Pour ceux qui sont néophytes, à l’ABO, chaque année, le président choisit une optique qui supplémente et complémente le reste du travail que nous réalisons.

Cela va de soi, mais je souhaite souligner que, peu importe les nouveaux projets, les avantages et les activités que nous réaliserons dans les mois à venir, mes prédécesseurs ont fait un excellent travail. Les initiatives qu’ils et elles ont lancées, les projets qu’ils ont menés au nom de la profession, l’engagement et le militantisme qu’ils ont inspirés chez nos membres, tout cela se poursuivra.

À la lumière des événements récents au Barreau de l’Ontario, il ne fait pas de doute que l’engagement de l’ABO envers l’équité, la diversité et l’inclusion dans notre profession est inébranlable. Ces principes orienteront toujours tous les aspects de nos services aux membres, de nos revendications et de notre représentation. L’élan, en matière d’égalité, de diversité et d’inclusion, d’accès à la justice et de santé mentale, entre autres, se poursuivra.

Les avocats de l’ABO sont des meneurs de changement progressistes

Il ne fait aucun doute que lorsque les avocats utilisent leurs considérables talents combinés, leur ingéniosité et leur logique juridiques, leur passion et leur vision, leur ténacité et leurs pouvoirs de persuasion, pour relever un défi, fût-il énorme ou complexe, ils font bouger les choses.

Les avocats peuvent et devraient toujours être à l’avant-garde des progrès sociaux, anticiper les menaces aux droits de la personne et exiger des réformes pour garantir que le droit s’adapte à son époque.

Pour exceller dans notre profession, il faut être à jour et voir les enjeux à partir de nombreuses perspectives. Bref, nous devons réfléchir avec exhaustivité et faire nos devoirs comme conseillers fiables avec créativité.

Cette combinaison d’innovation sociale et d’ingéniosité intellectuelle qui caractérise le travail des avocats — dans tous nos dossiers, pour tous nos clients, dans toutes nos causes, ne se trouve pourtant pas généralement reflétée dans nos façons de gérer le côté « affaires » de notre rôle. Dans la réalité, la pratique du droit, comme les tribunaux, a été lente à évoluer, et nous courons le risque d’y perdre au change dans le marché juridique moderne.

Pourquoi les avocats ont-ils été si lents à adopter l’innovation dans leur pratique ?

Je ne crois pas que ce soit par manque de volonté. Une chose que j’ai retenue du formidable travail de la présidente Vicars pour faire progresser l’égalité au sein de la profession, c’est qu’un vaste pourcentage des avocats a soif de nouvelles façons de penser et envie de tirer profit de la diversité des opinions pour progresser vers des buts importants.

Je soupçonne que les obstacles sont plutôt logistiques. Ces obstacles comprennent :

  1. Le fait que comme avocats, nous sommes souvent tout simplement trop occupés à répondre aux besoins de nos clients et employeurs pour réfléchir à transformer notre pratique ;
  2. Nous avons aussi tendance à travailler de manière solitaire, même ceux qui travaillent dans un grand bureau ou au sein d’une grande équipe, aussi nous n’avons qu’une expérience limitée d’autres façons de faire et des occasions qui s’offrent à nous, et nous nous sentons mal outillés pour adopter seuls des changements radicaux ;
  3. Nous pouvons être réticents à prendre des risques, ce qui se comprend, et à investir beaucoup d’argent dans une ligne de conduite teintée d’incertitude ;
  4. Si nous connaissons déjà le succès, pourquoi voudrions-nous changer, ou pourquoi en sentirions-nous le besoin ?

Le statu quo semble plus facile et plus sécuritaire, mais l’inertie ne peut mener qu’à l’obsolescence.

La profession juridique d’aujourd’hui fait face à un rythme de changement plus rapide que jamais. Et les changements, dans la société entière, se font à un rythme exponentiellement plus rapide que par le passé.

Le moment d’agir est venu

C’est pourquoi nous devons agir maintenant, et pourquoi l’innovation de la pratique juridique est une composante clé de mon mandat pour l’année à venir.

L’ABO formera des partenariats ; elle procédera à des tests et offrira de la formation ; elle trouvera, montera et livrera des innovations qui vous permettront de relever les défis qu’entraîne votre contexte particulier. Nous voulons vous aider à gérer vos affaires et à servir vos clients plus efficacement, et nous assurer que vous soyez des leaders dans tous les sens du terme.

En somme, nous ferons le travail requis pour aider nos membres à pratiquer le droit aujourd’hui et les préparer à le pratiquer demain et pour toute leur carrière.

Avant d’entrer dans le vif de ce sujet, j’aimerais dire un mot du climat dans lequel nous travaillons et de la concurrence à laquelle nous faisons face.

La vision en expansion de la pratique juridique

Comme je l’ai mentionné ci-dessus, il est possible que bien que nous soyons généralement des penseurs d’envergure, du moins lorsque nous défendons nos clients, nous ayons collectivement accepté une vision trop étroite de ce que les avocats peuvent offrir. En fait, d’autres entités entrepreneuriales (entreprises et consultants) continuent d’élargir leur mission et leur offre, empiétant sur ce qui a déjà été le territoire exclusif des avocats.

Comme exemple des risques et périls du manque d’innovation, les cours universitaires citent souvent l’industrie des calèches pour chevaux, qui a connu ses années les plus rentables de 1899 à 1905, au moment où le moteur automobile et la chaîne de montage étaient développés. Eu peu de temps, environ de 1905 à 1920, la fabrication de calèches s’est éteinte, et l’automobile est devenue omniprésente. Durant cette période, l’industrie du transport s’est multipliée par six comparativement à ce que le commerce des calèches avait pu réussir. Les fabricants de calèches qui n’ont pas innové ont fait faillite. Par contre, les fabricants prêts à évoluer avec leur époque et à se moderniser auraient pu tirer profit du travail, de l’argent et des occasions en croissance rapide.

Aujourd’hui, la demande est forte pour les services juridiques, mais leur fourniture — les méthodes, la livraison, les utilisateurs finaux — change.

Le changement peut sembler se faire en douceur, mais le marché juridique est en rupture, et les géantes parmi les sociétés de comptabilité et de consultation prennent une place importante. Considérez par exemple que :

  • Dans les dernières années, les quatre grands bureaux de comptables et de consultants EY, Deloitte, KPMG et PWC ont énormément augmenté leur présence dans le marché juridique internationale, chacun à leur façon.
  • En avril 2019, EY a acquis Pangea3 de Thomson Reuters pour faciliter l’offre de « services juridiques gérés » et permettre à ses clients de réaliser du travail juridique efficacement et à moindre coût. Cette transaction a à elle seule a amené plus de 1000 professionnels juridiques dans le giron d’EY.
  • EY a également acquis l’entreprise britannique de services juridiques alternatifs Riverview, qui offre des services à prix fixe aux services juridiques des entreprises. EY planifie d’avoir 5000 avocats d’ici deux ans.
  • De nouveaux modèles d’affaires dans lesquels des sociétés comme EY ont des dépenses annuelles de l’ordre de 2 milliards de dollars pour l’innovation signifient que dans un avenir rapproché, l’exercice du droit, du moins assurément sur les plans multinationaux et transnationaux, sera très différent de ce qu’on connaît aujourd’hui.
  • En 2016, EY Canada a fusionné ses services fiscaux internes à une firme d’immigration commerciale afin d’offrir « des produits multidisciplinaires intégrés, y compris des réorganisations d’entreprises, des fusions et acquisitions, des financements, des coentreprises, la rédaction de prix de cession interne, les contrats, politiques et procédures de nature commerciale et les services de secrétariat d’entreprise ».
  • Le règlement de litiges en ligne a été introduit à la cour des petites créances de la Colombie-Britannique et, sous une forme limitée, dans les litiges relatifs aux copropriétés en Ontario.
  • Le tribunal de règlement des conflits au civil de la Colombie-Britannique (civilresolutionbc.ca) a été le premier système canadien de règlement des conflits en ligne. Il s’agit d’un forum obligatoire pour les conflits de copropriété relevant des petites créances (< 5 000 $) et, fait important, pour les plus petites créances liées aux accidents automobiles (dommages de < 50 000  $).
  • Le système facilite les négociations entre les parties (comme eBay ou PayPal), mais des médiateurs et des intervenants du tribunal peuvent intervenir si le conflit n’a pu être réglé par la négociation en ligne. Les membres du tribunal sont au nombre d’environ 14 à temps plein et 24 à temps partiel. Le système a obtenu une cote d’approbation de 84 % parmi ses participants plus tôt l’année dernière. Les avocats en lésions corporelles n’étaient pas si réjouis.
  • En Ontario, le Tribunal de l’autorité du secteur des condominiums (www.condoauthorityontario.ca) dispose d’un système de règlement de litiges en ligne depuis novembre 2017, mais celui-ci se limite aux différends liés aux dossiers des copropriétés, comme les états financiers, le registre des procès-verbaux, les budgets et les études sur les fonds de réserve.

Malgré cette concurrence croissante et les menaces qu’elle fait peser sur les activités des avocats, il existe d’extraordinaires occasions de croissance. Et comme personne ne connaît les questions juridiques aussi bien que les avocats, nous sommes mieux placés pour repérer les occasions d’affaires que quiconque n’est pas avocat.

Si vous êtes prêt à innover et à prendre des risques tout en continuant d’être un conseiller fiable pour vos clients, vous pourrez prospérer et tirer profit de ces occasions.

Les innovateurs des grands bureaux juridiques canadiens

En fait, de nombreuses firmes d’avocats canadiennes relèvent ce défi. Aucun cabinet juridique canadien ne peut investir 2 milliards de dollars par année en innovation technologique comme EY l’a fait, mais les grands bureaux canadiens font déjà preuve de créativité. Les bureaux d’avocats canadiens ne restent pas immobiles, qu’on pense à Torys qui a ouvert un bureau moins coûteux « d’externalisation proche » en Nouvelle-Écosse, à Osler qui a introduit une technologie qui simplifie la production des certificats irréfragables pour les transactions immobilières impliquant plusieurs locataires, à McCarthy Tétrault qui a lancé son MT>Réseau ou à Dentons Canada qui a embauché comme nouveau PDG l’ancien associé directeur pour la région métropolitaine de Toronto chez KPMG.

Un bureau seul ne pourra pas tout faire, et il est certain que les bureaux petits et moyens, peu importe la hauteur de leurs aspirations entrepreneuriales, sont paralysés par le manque de ressources.

Il est aussi juste de dire qu’il n’y a pas de solution unique pour moderniser toutes les pratiques et tous les praticiens.

Comment savoir quelles innovations technologiques ou procédurales seront les meilleures pour vous ? Lesquelles serviront au mieux vos besoins et ceux de vos clients, et comment pouvez-vous tirer profit des bons partenariats pour vous prévaloir de ces plateformes, de ces outils et de ces procédures ?

Il suffit de laisser l’ABO faire le travail.

Le plan d’innovation de la pratique de l’ABO

La collaboration est la clé pour explorer et mettre en œuvre une innovation intelligente et durable. Dans une petite mesure, nous avons déjà pu constater, durant notre partenariat avec Peter Aprile, innovateur en résidence de l’ABO l’an dernier, à quel point nos membres veulent explorer de nouveaux modèles de gestion et de nouvelles stratégies d’innovation ; ils souhaitent ardemment profiter de l’expérience et des perspectives des avocats à l’avant-garde.

Je suis heureux d’annoncer que cette année, notre innovateur en résidence sera la Legal Innovation Zone (la LIZ) de l’Université Ryerson, l’un des premiers et meilleurs pôles d’innovation juridique au monde. Travaillant avec la LIZ, nous vous tiendrons informés des nouvelles technologies et des meilleures pratiques de gestion. Nous serons également jumelés à la LIZ pour fournir à nos membres les services, la formation, les outils et les cadres de travail qui leur permettront d’intégrer à leur pratique juridique une innovation porteuse de sens. Cette initiative pour l’innovation s’appuie sur nos cinq « piliers » :

Les cinq piliers de l’innovation

  1. Services d’information

Personne n’a le temps de repérer les technologies et innovations existantes qui pourraient fonctionner dans leur pratique, alors imaginez pour celles qui viendront à l’avenir. L’ABO fournira ces renseignements à ses membres. L’information sera catégorisée et livrée d’une manière facile à digérer, qui tient compte du quotidien chargé des juristes. Si vous commencez votre carrière, il se peut que vous vouliez savoir ce qui existe déjà pour vous donner un coup de main ; si votre carrière est établie, il se peut que vous vouliez en savoir plus sur les technologies émergentes, à la fine pointe, qui amélioreront votre efficacité. Si vous œuvrez dans un grand bureau, vous voulez peut-être une vision à plus long terme de ce dont votre pratique aura besoin pour continuer à connaître du succès dans une décennie. Les membres pourront choisir les options qui s’appliquent à eux, dans leur situation et leur champ de pratique.

  1. Tests

Pour être en mesure de recommander les meilleures innovations, l’ABO procédera à des études poussées. Nous étudierons les meilleures pratiques, celles que d’autres industries ont adoptées, celles que les consommateurs recommandent. Nous testerons ces outils et approches pour déterminer dans quelle mesure ils répondent aux besoins précis des avocats. Nous fournirons à nos membres des options qui ont fait leurs preuves et offriront une liste de diffusion électronique qui permettra à tous de partager des problèmes communs et de fournir des recommandations.

  1. Savoir-faire

Une fois que nous aurons fourni aux avocats les renseignements sur ce qui existe et sur ce qui peut fonctionner dans leur pratique, nous nous assurerons qu’ils ont le savoir-faire requis pour intégrer ces outils et les utiliser efficacement.

L’ABO s’occupe de formation professionnelle continue, sous forme pratique, depuis des décennies. Nous offrirons de la FPC au sujet des nouvelles technologies et des meilleures pratiques de gestion.

L’ABO produira des documents de FPC sur les façons innovatrices d’améliorer les relations avec les clients, sur le marketing numérique, les modèles alternatifs de facturation, l’amélioration de la rétention des avocats, le renforcement de la résilience, et l’amélioration de la diversité et de l’inclusion comme des forces pour tous les bureaux d’avocats. L’ABO s’assurera que vous aurez une longueur d’avance.

  1. Outils

L’ABO fournira un accès facile et abordable aux bons outils, que ce soit par un portail de produits, par une « pratique sur un portable » pour les avocats démarrant un cabinet en solo, ou par l’entremise de partenariats avec des fournisseurs. Nous rendrons la technologie plus pratique et abordable pour nos membres individuels et collectifs. En tant que plus vaste association juridique de la province, nous chercherons des moyens de tirer profit de notre pouvoir d’achat pour fournir de la technologie d’une manière abordable, même pour les acteurs les plus sophistiqués.

  1. Défense des droits

Une fois que nos membres auront adopté les nouvelles technologies et innovations et qu’ils auront été formés, l’ABO fera en sorte que vos nouvelles compétences soient reconnues.

Il faudra avoir des discussions : le Barreau de l’Ontario devrait-il ajouter des exigences de compétences technologiques et une réglementation quant au rôle approprié que les avocats doivent jouer dans la fourniture de services juridiques assistés par la technologie ? Si oui, il faudra établir que les avocats sont des experts reconnus en services juridiques assistés par la technologie et garantir que les avocats continuent de jouer un rôle crucial tandis que le marché devient plus complexe, plus achalandé et plus innovant.

Conclusion

En tant que meneuse parmi les organisations juridiques ontariennes, l’ABO, qui sert les membres du Barreau depuis plus d’un siècle, s’assurera que chacun y trouve son compte en matière de services et de conseils technologiques. Cela est crucial : nous aurons des solutions attrayantes, faciles à mettre en œuvre, pour chaque avocat, selon son domaine de spécialisation, et nous vous aiderons à les intégrer à votre pratique.

Nous savons combien votre travail compte pour vous. Nous connaissons les normes élevées de professionnalisme auxquelles vous vous tenez. Nous connaissons la valeur que vous associez à l’offre d’un service juridique impeccable et à promouvoir l’accès à la justice.

Tous ces objectifs seront mieux atteints grâce à l’innovation. La modernisation, la prévoyance et l’adaptation permettront d’élargir et d’améliorer vos occasions d’exercer votre profession.

J’ai hâte d’entendre vos idées sur les technologies et pratiques innovantes au cours des mois à venir. Ne manquez pas votre invitation au grand colloque sur l’innovation et les jeunes juristes que l’ABC et l’ABO organiseront en juin 2020. Nous y réunirons de jeunes avocats de tous les coins du pays et de toute la famille de l’ABC pour de l’inspiration, de la formation et de l’innovation. Réservez ces journées, et préparez-vous pour la plus grande célébration de la décennie !