mechanical hand grasping a human hand

Les robots-conseillers peuvent améliorer l’accès à la justice

  • 16 août 2016
  • Malcolm Mercer

Utilisés dans les services financiers, les robots-conseillers fournissent des conseils de gestion d’actifs selon un algorithme automatisé, remplaçant les conseillers financiers de chair et d’os.

Joseph Groia, Siobhan Mullan et Malcolm Mercer observent ce phénomène et se demandent s’il pourrait s’appliquer aux services juridiques. Les robots-conseillers seraient-ils une menace pour la profession, ou amélioreraient-ils l’accès à la justice ? 

Joseph et Siobhan estiment que les risques sont bien trop grands. Lisez leur article ici.

 

Depuis des siècles, les avocats utilisent leur temps et leur expertise pour offrir une aide précieuse à leurs clients.

En termes réels, les revenus des avocats sont restés raisonnablement stables au fil des décennies. Selon Statistique Canada, le revenu médian pour les avocats de l’Ontario en 2014 était juste au-dessus de 125 000 $. Au fil du temps, les revenus professionnels des avocats ont été relativement corrélés aux revenus familiaux. Cela n’est pas surprenant ! Les avocats sont intelligents, éduqués et ils travaillent dur : ils ont généralement maintenu leur situation économique, et leurs revenus sont liés à la capacité des clients de payer leurs honoraires.

Considérant les revenus des avocats, leurs frais accessoires et le nombre d’heures facturables dans une année, il s’ensuit inévitablement que les avocats facturent des taux horaires de centaines de dollars (qu’ils soient décrits ainsi ou pas).

Pour certains problèmes, cela fonctionne plutôt bien. Le temps de travail requis pour une transaction immobilière résidentielle ou la rédaction d’un testament est limité. La plupart des gens qui achètent ou vendent de l’immobilier ou ont des biens à léguer ont les fonds pour payer le travail juridique requis.

Pour d’autres questions juridiques, un problème se pose. En droit criminel, en droit familial et en matière de responsabilité civile, le nombre d’heures de travail qui sont requises signifie que bien des gens ordinaires n’ont pas les moyens de se payer un avocat. Ironiquement, bien des avocats ne pourraient pas s’offrir leurs propres services. Cette réalité se traduit différemment selon les domaines. En responsabilité civile, les avocats sont payés à même l’indemnité finale, le cas échéant. En droit familial, la plupart des gens se passent simplement d’avocat. En droit criminel, l’aide juridique assiste les plus démunis. Pour la classe moyenne, une accusation criminelle peut être ruineuse. Notre système de justice est, pour les gens ordinaires, une merveille inabordable.

Ce qui n’est pas évident, c’est à quel point les avocats en font peu pour les gens ordinaires. Les sondages ont démontré à maintes reprises que le travail des avocats est généralement limité au droit criminel, au droit de la famille, à la responsabilité civile, à l’immobilier et au droit des successions. Les études ont démontré que plus de 85 % de tous les « événements justiciables » sont traités par des gens ordinaires, sans assistance juridique.

Pourquoi donc les gens ne se tournent-ils pas vers des avocats pour des questions juridiques ? La réponse concrète est que les avocats n’offrent pas de services si les gens ne paient pas pour ceux-ci, et que de nombreuses questions juridiques ne peuvent pas être traitées à un coût de centaines de dollars l’heure. Il en résulte que certains besoins juridiques ne trouvent pas de réponse ou trop peu.

Deux autres exemples seront utiles. Comme les avocats, les conseillers en investissement passent leur temps à offrir des conseils et de l’assistance pour des transactions. Contrairement aux avocats, ils facturent généralement leurs honoraires selon la valeur des investissements réalisés. Cela signifie que les conseillers en investissements limitent leur clientèle aux gens qui ont des actifs suffisants à investir pour payer leurs honoraires. Ainsi, ceux qui dont les actifs sont insuffisants laissent leur argent dans leurs comptes bancaires, se procurent des CPG ou investissent dans des fonds de placement communs de banques.

La préparation des déclarations de revenus est un autre bon exemple. Les impôts peuvent être complexes et ardus. Les comptables agréés préparent les déclarations de certains. D’autres font faire les leurs par des techniciens comptables ou des fiscalistes. Pourtant de nombreuses soirées d’avril s’éternisent au-dessus des tables de cuisine, les gens essayant eux-mêmes de remplir les formulaires fiscaux.

En 2016, bien des gens se servent de Quicken TurboTax ou de produits similaires. Au lieu d’enseigner aux conseillers fiscaux comment consacrer leur temps à la préparation de déclarations de revenus, Quicken a créé un robot-conseiller que l’on peut télécharger et utiliser à la maison. Le logiciel TurboTax est sans doute coûteux à créer et entretenir, mais le coût additionnel d’un téléchargement de TurboTax est relativement négligeable. Ce « coût marginal » peu élevé signifie que le prix à l’unité est bas. Les gens ordinaires qui passaient auparavant leurs fins de soirée à s’inquiéter au sujet de leur déclaration de revenus utilisent maintenant plutôt un robot-conseiller fiscal.

En 2016, des robots-conseillers fournissent aussi de l’aide pour l’investissement. La croissance de l’utilisation des robots-conseillers au cours des dernières années a été importante. Il est d’autant plus intéressant que les services de robots-conseillers sont offerts à des clients qui n’ont pas assez d’actifs à investir pour mériter l’intérêt d’un conseiller en investissement traditionnel. L’économie du « coût marginal faible » qui permet à TurboTax d’être offert à bas prix s’applique ici aussi.

Et le droit ? Il y a des parallèles entre les conseils juridiques, les conseils fiscaux et les conseils relatifs à l’investissement. Lorsque ces services sont fournis par un conseiller traditionnel, un professionnel, certains besoins demeurent sans réponse, car le modèle de l’expert qui réalise le travail comporte un seuil limite quant au prix pour lequel il peut livrer le service. Quand on se sert de la technologie et du capital, on peut offrir des services à moindre coût.

Cela n’est pas une notion radicale. Des exemples existent déjà. Récemment, le Manchester Guardian titrait « Chatbot lawyer overturns 160,000 parking tickets in London and New York » (Un roboto-avocat fait annuler 160 000 billets de stationnement à Londres et New York). Neota Logic et Littler Mendelsohn offrent déjà des conseils robotisés sur la conformité aux clients en ressources humaines de Littler. Cela ne veut pas dire qu’un robot-avocat en cour soit désirable ni même plausible. Mais certains aspects des services juridiques existants se prêteraient bien à des robots-avocats. Le droit familial en représente un exemple évident : les formulaires et règles complexes des tribunaux pourraient être gérés avec l’assistance d’un robot. Un produit Quicken Family Law a notamment été lancé au Texas il y a plusieurs années, avant que le barreau de l’État ne s’y objecte comme constituant un exercice non autorisé du droit.

Bien sûr, il s’agit d’une conjecture quand nous disons que les robots-conseillers juridiques peuvent substantiellement combler les besoins juridiques existants. Ce caractère hypothétique n’est cependant dû qu’au fait que seuls les avocats et parajuristes autorisés ont présentement le droit de fournir des services juridiques. Et il est évident que la capacité de fournir des services intelligents propulsés par logiciel et livrés par Internet ne fait que croître. Ce qui est possible aujourd’hui n’est pas ce qui sera possible dans les années à venir.

Pour certains avocats, cela est effrayant. Une partie de notre travail pourrait se faire de manière plus rentable de nouvelles façons. Mais les avocats ne sont pas près de répondre à tous les besoins juridiques qui existent. Il n’y a aucune justification éthique d’interdire ce que les avocats n’offrent pas ni, ce qui est plus effrayant, ce qui peut réellement être fourni à moindre coût. Et il peut y avoir encore plus d’occasions à saisir pour les avocats qui veulent de nouveaux défis !

Au bout du compte, nous pouvons tenter d’interdire de nouveaux services juridiques que les avocats ne peuvent fournir de façon rentable. Nous pouvons ignorer les nouveaux fournisseurs et espérer que tout aille bien. Ou nous pouvons réglementer soigneusement les services juridiques, dans l’intérêt public, en incluant les « robots-avocats ».


Malcolm MercerÀ propos de l’auteur

Malcolm est associé et avocat général chez McCarthy Tétrault, où il est avocat plaideur depuis son adhésion au barreau en 1984. Malcolm est vice-président du comité de règlementation professionnelle du barreau et membre actif de plusieurs autres comités du barreau. Malcolm est chroniqueur sur l’éthique juridique pour slaw.ca et enseigne cette discipline à la faculté de droit d’Osgoode Hall. Malcolm a été membre du groupe de travail de l’ABC sur les conflits d’intérêts. Il a été président du comité de l’ABC sur la déontologie et la responsabilité professionnelle, et a dirigé l’équipe de règlementation pour l’initiative de l’ABC sur les contrats standardisés. Il a été lauréat du prix d’excellence Louis St. Laurent de l’ABC en 2013.

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