Vladimir Putin with facial makeup

Plus vite, plus fort – mais pas gai

  • 01 octobre 2013
  • Ivan Steele

Le droit et la politique des Jeux Olympiques d'hiver de Sochi

De son interdiction fédérale sur la « propagande gaie » à son interdiction de tenir des défilés de la fierté gaie à Moscou et à Saint-Pétersbourg pendant 100 ans en passant par une interdiction sur les adoptions par les couples gais et une proposition d'enlever leurs enfants aux parents gais, le gouvernement russe s'est lancé dans une véritable croisade orwellienne contre ses citoyens homosexuels. Alors que la Russie se prépare à accueillir les Jeux Olympiques d'hiver de 2014 à Sochi, ses abus des droits humains contre la communauté GLBT prennent une grande importance et deviennent un test de l'intégrité du Comité International Olympique (CIO) et des dirigeants de la planète.

Sous le prétexte de « protéger les enfants », la Douma de Russie a adopté à la quasi-unanimité une « interdiction contre la propagande homosexuelle » qui proscrit toute mention de relations et d'identités sexuelles non traditionnelles dans tout forum ou média qui soit accessible aux personnes mineures. Dans notre ère numérique, cela constitue une censure pratiquement absolue de la communauté GLBT russe.   La punition en cas d'infraction à la loi va d'amendes importantes à une peine d'emprisonnement, et même à la déportation dans le cas d'étrangers.

En dépit de son objectif déclaré de protéger les mineurs, cet interdit constitue une loi basée sur le statut, détachée de tout intérêt légitime du gouvernement. Le Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a statué que le souhait de « protéger » les enfants contre tout renseignement lié à l'homosexualité ne pouvait pas être justifié par le principe des meilleurs intérêts de l'enfant. Cette interdiction est uniquement motivée par une animosité à l'égard des gais et des calculs politiques du président Poutine. Son unique but consiste à faire un bouc émissaire d'un segment de la société et d'effacer progressivement son existence de la conscience nationale. En inscrivant dans ses lois la discrimination basée sur l'orientation sexuelle, le Kremlin met de l'avant un climat social propice à la violence anti-gaie, ce qui enfreint les garanties constitutionnelles nationales du pays et ses droits internationaux en matière de droits de la personne.

La portée des lois de Moscou dépasse considérablement les Jeux Olympiques, les défilés de la fierté gaie et l'activisme politique. Leur impact immédiat est une criminalisation de fait de l'identité et l'éradication de la liberté d'expression et d'assemblée de la communauté GLBT. En ciblant les citoyens et les visiteurs GLBT pour un traitement juridique défavorable, la Douma a rendue légitime la discrimination par les employeurs, les fournisseurs de services et les enseignants. Dépouillées de leur droit à la liberté d'expression, les personnes GLBT sont impuissantes devant la discrimination au travail et l'accès aux produits et aux services. Le droit aux médias et à l'accès à l'information de la communauté GLBT est à toutes fins pratiques éliminé car des amendes importantes dissuadent les médias de faire des reportages sur les enjeux qui touchent cette communauté.

De même, l'interdiction imposée aux adoptions par les gais et les lesbiennes, ainsi qu'une proposition législative visant à enlever les enfants à leurs parents gais, a deux effets principaux. Elle prive les parents de leur droit fondamental de former et de maintenir une unité familiale, ce qui contrevient aux articles 17 et 23 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIRDCP ), qui garantissent la liberté contre « l'ingérence arbitraire ou illégale avec la famille et la vie privée [d'une personne] » et qui définissent la famille comme étant « l'élément naturel et fondamental de la société, [qui] a droit à la protection de la société et de l'État ». Bien que le terme « famille » ne soit pas défini dans ce pacte, une telle définition devrait correspondre à la réalité moderne, qui inclut les familles constituées de conjoints de même sexe. Deuxièmement, ces lois ignorent l'intérêt des enfants concernés, créant ainsi de nouvelles victimes de l'homophobie institutionnelle.

En dépit d'assurances faites derrière des portes closes par des fonctionnaires russes anonymes au CIO à l'effet que la loi qui réprime l'activisme en faveur des droits des homosexuels ne sera pas appliquée pendant les Jeux Olympiques de Sochi, le ministre des Sports russe maintient catégoriquement que le gouvernement fera appliquer les lois anti-gais lorsqu'il recevra les athlètes et les partisans du monde entier. En l'absence d'une abrogation de dernière minute, la police sera tenue de faire appliquer la loi. La « loi contre la propagande gaie » crée un climat dangereux pour tous les participants, les visiteurs locaux gais ou ouverts aux gais. Un t-shirt arborant un arc-en-ciel ou la présence d'une maison de la fierté gaie dans le village olympique pourrait entraîner des amendes et des peines d'emprisonnement.  L'arrestation ou la déportation d'un seul athlète olympique, d'un seul citoyen local ou d'un seul visiteur porterait atteinte à l'esprit des Jeux et constituerait une victoire des préjudices sur les droits de la personne et la simple décence. La sécurité physique des étrangers est également une source de préoccupations véritables, à en juger par les récentes éruptions de violence anti-gais, dont les auteurs ont été enhardis par l'« interdiction de la propagande ».

La récente purge législative de la communauté GLBT russe a des parallèles importants dans les politiques d'apartheid de l'Afrique du Sud et la tentative faite par Adolf Hitler d'interdire aux juifs et aux noirs de participer aux Jeux Olympiques de 1936 à Berlin. Tout comme en 1936, alors que l'aveuglement volontaire du CIO a rehaussé la confiance d'Hitler et a encouragé les atrocités à venir, son inaction actuelle pourrait inciter à brimer davantage les Russes et les visiteurs GLBT. En dépit du danger que présentent ces lois pour les athlètes, les spectateurs et les locaux, le CIO justifie son silence en prétendant être politiquement neutre. Comme nous l'a enseigné l'histoire, dans des situations caractérisées par une injustice grave et des violations des droits fondamentaux de la personne, la neutralité correspond au soutien tacite de l'agresseur. Par son inaction, le CIO solidifie dans son pays le statut de Vladimir Poutine en tant que dirigeant fort, qui veut et qui peut résister au monde entier pour défendre sa version des valeurs russes. Le CIO transmet là un bien mauvais message.

Le Canada peut également manifester son désaccord avec la discrimination approuvée par l'État russe en facilitant la voie aux demandeurs d'asile GLBT russes qui cherchent à échapper aux persécutions. Le climat anti-gai malsain qui sévit en Russie a atteint des niveaux alarmants qui doivent sans doute déclencher les principes de base de la protection des réfugiés.  Les gais et les lesbiennes russes, dont les libertés fondamentales, la vie et la liberté sont en danger, ont le droit de fuir les persécutions et doivent avoir la possibilité de rechercher une protection ailleurs, sans être renvoyé dans un pays qui les considère comme n'étant pas des êtres humains, et où ils risquent d'être victimes de sanctions judiciaires et extrajudiciaires.

Bien que le Canada, les États-Unis et l'Union européenne doivent condamner les actions de la Russie, seul le CIO a le pouvoir nécessaire pour surmonter les obstacles politiques et la culture d'inertie qui entoure cette controverse. Comme personne ne peut garantir la sécurité et la liberté des athlètes homosexuels, de leurs alliés et des participants, et puisque le monde entier et le CIO ne peuvent pas rester des témoins silencieux d'une violation généralisée des droits de la personne, il n'y a que deux choix possibles : le CIO doit soit interdire à la Russie de participer à ses propres Jeux d'hiver, soit trouver une autre ville qui possède l'infrastructure nécessaire pour devenir l'hôte de ces Jeux. Le Canada, les États-Unis et les autres pays qui sont en faveur de la primauté du droit pourraient boycotter les Jeux Olympiques, mais les athlètes seraient les premiers punis par un tel geste. La pression et les messages diplomatiques de l'Ouest ne feront que renforcer le narratif nationaliste de Vladimir Poutine et la diabolisation de « l'autre ». Les boycotts doivent donc être une mesure de dernier ressort.

Plutôt que les pays individuels, c'est le CIO qui a le devoir et le pouvoir nécessaire pour punir la Russie de façon efficace pour ses violations continues des droits de la personne contre ses citoyens homosexuels. Si le CIO bannissait la Russie de ses propres Jeux Olympiques, il s'agirait d'une solution précise, fondée sur des précédents. Comme elle l'a fait en bannissant la Rhodésie des Jeux de 1972 à Munich pour ses politiques racistes, le gouvernement pro-apartheid d'Afrique du Sud des Jeux de 1964 à Tokyo et l'Afghanistan des Jeux d'été de 2000, le CIO doit envoyer un message tout aussi clair signalant à la Russie l'opprobre international ressenti pour son traitement des gais et des lesbiennes. Le CIO doit respecter la Charte olympique, qui déclare que la pratique du sport est un droit de la personne, où « chaque individu doit avoir la possibilité de faire du sport sans discrimination d’aucune sorte et dans l’esprit olympique, qui exige la compréhension mutuelle, l’esprit d’amitié, de solidarité et de fair-play ».

La Russie n'est pas seule à traiter ainsi les gais et les lesbiennes, comme en témoignent notamment les politiques de l'Ouganda, du Zimbabwe, de l'Inde, du Nigeria et d'autres. Toutefois, elle est le pays le plus important et le plus puissant de ce groupe. L'influence politique de la Russie et sa stature internationale rendraient l'interdiction du CIO particulièrement efficace pour transmettre un message aux futurs participants et pays hôtes, en leur indiquant que le monde est vigilant et préparé à agir lorsqu'un pays décide d'exclure une catégorie de personnes de la portée de ses lois.


Ivan SteeleA propos de l'auteur

Ivan Steele est un avocat homosexuel qui pratique le droit familial et le droit de l'immigration à Toronto. IvanSteeleLaw.com

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