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Les copropriétés pourraient mettre les personnes queers à la porte ! Une discussion sur l’impact discriminatoire de la règle de la famille unique pour la collectivité 2SLGBTQ+

  • 27 février 2023
  • Kirsti Mathers McHenry (elle) et Tamara J. Sylvester (iel/ellui)

En octobre 2021, CTV News Toronto a publié un article (« Couple asked to leave Toronto condo because they’re not married ») relatant l’histoire d’un Torontois homosexuel, John Cowan, résidant dans une copropriété à l’angle de Wellesley et Bay, à deux pâtés de maisons du village gai de Toronto, à qui la direction de la copropriété a demandé de fournir une preuve de mariage à son partenaire comme condition préalable à leur cohabitation dans la copropriété. Lorsque M. Cowan n’a pas fourni cette preuve, la direction de la copropriété a désactivé le porte-clés de son partenaire. Pour justifier l’exclusion du partenaire de M. Cowan de leur logement, la direction de la copropriété a invoqué une règle de la copropriété, appelée « règle de la famille unique », qui prétend définir la famille comme « une unité sociale composée du ou des parents et de leurs enfants, naturels ou adoptés, et inclut d’autres personnes apparentées si elles vivent avec le groupe principal ».

Dans cet article, nous discutons de l’impact discriminatoire de la règle de la famille unique sur la base de l’orientation sexuelle, de la compétence non établie du TDPO sur cette question et des implications plus larges pour la collectivité 2SLGBTQ+.

QU’EST-CE QUE LA « RÈGLE DE LA FAMILLE UNIQUE » ?

Le propriétaire d’un logement en copropriété ne dispose pas d’une pleine propriété classique. Il n’est pas libre de disposer de sa propriété de la même manière que le propriétaire d’autres logements résidentiels pourrait l’être[1]. Les alinéas 7(4)b) et c) de la Loi sur les condominiums (la « Loi sur les condos ») permettent à une déclaration de contenir des conditions ou des restrictions concernant l’occupation et l’utilisation des parties privatives ou des éléments communs des parties privatives d’un condominium. De plus, l’article 58 de cette loi habilite les conseils de copropriété à établir des règles concernant l’utilisation des parties communes et des logements afin de « promouvoir la protection, la sécurité et le bien-être ou le bon état, selon le cas, des propriétaires ainsi que de la propriété et des biens » de l’association de condominiums, ainsi que pour « empêcher que soient gênés déraisonnablement l’usage et la jouissance » des parties communes et des unités. Les propriétaires et les locataires sont tenus de respecter les règles du conseil de la copropriété qui sont raisonnables et conformes à la Loi sur les condos, à la déclaration et aux règlements administratifs de la copropriété[2].

Dans Ballingall c. CCC No. 111, 2015 CSON 2484[3], une affaire déterminante concernant la règle de la résidence unifamiliale et la définition de « résidence unifamiliale privée », la Cour supérieure de justice a déclaré sans équivoque que les conseils de copropriété avaient le pouvoir d’établir des règles définissant le sens de « résidence unifamiliale privée ». Dans cette affaire, la Cour a également déclaré que « à moins que l’expression » résidence unifamiliale privée « ne soit définie autrement dans les documents constitutifs d’une association de condominiums, elle a la définition suivante : « une unité sociale composée du ou des parents et de leurs enfants, naturels ou adoptés, et d’autres personnes apparentées si elles vivent avec le groupe principal » — une définition étroite, confirmée par la Cour d’appel de l’Ontario[4].

LA JUSTIFICATION DE LA RÈGLE DE LA FAMILLE UNIQUE ET SES IMPLICATIONS

Paula Boutis, avocate ayant plus de 20 ans d’expérience en matière de gouvernance municipale et d’aménagement du territoire, et plaignante dans une affaire concernant la règle de la famille unique, a écrit dans un article récent que « les règles de la famille unique sont justifiées par les sociétés de condominiums comme un moyen de s’assurer que les locataires non apparentés, de passage et les maisons de chambres — où des pièces uniques sont louées par opposition à l’unité entière — sont interdits dans les collectivités de condominiums ». Me Boutis a également fait remarquer avec perspicacité que la règle de la famille unique donne essentiellement aux sociétés de condominiums le pouvoir de « réglementer les résidents par relation ».

De toute évidence, cette règle peut être utilisée de manière discriminatoire contre les membres de la collectivité 2SLGBTQ+. Dans le cas de M. Cowan, un ancien résident de la copropriété a déclaré à CTV News Toronto qu’elle vivait dans la copropriété depuis six ans lorsqu’elle a invité son petit ami Samir à vivre avec elle, sans aucune résistance de la part du conseil ou de la direction de la copropriété.

En effet, dans la requête de Me Boutis[5] au Tribunal des droits de la personne de l’Ontario (« TDPO »), elle a affirmé que la règle de la famille unique l’empêchait de louer sa copropriété à différentes personnes et/ou différents groupes identifiés par des motifs de protection dans le Code des droits de la personne de l’Ontario[6] (le « Code »), y compris les couples non mariés de même sexe ne vivant pas dans une relation conjugale. Il est important de noter qu’en réponse, le TDPO a émis un avis d’intention de rejeter la requête en remettant en question sa compétence pour traiter cette affaire. L’affaire a finalement été réglée et les questions de savoir si une telle règle peut être discriminatoire sur la base de l’orientation sexuelle et si le TDPO est compétent pour répondre à cette question restent sans réponse.

LE CODE ET SES LIMITES

Le Code protège contre la discrimination dans de nombreux domaines qui touchent notre vie quotidienne, notamment le logement, l’emploi et les services. Nécessairement, le Code limite le pouvoir des propriétaires, des conseils de copropriété et d’autres personnes d’agir de manière discriminatoire.

Néanmoins, un rapport récent de l’association immobilière de l’Ontario (OREA) met en évidence des inégalités persistantes en matière de logement. Citant des données de Statistique Canada, le rapport souligne le fait qu’« en Ontario, 72 % des personnes qui ne font pas partie d’une minorité visible sont propriétaires de leur maison, comparativement à 43 % des répondants noirs, 50 % des répondants autochtones et 67 % des autres minorités visibles qui sont propriétaires. De même, 71 % des personnes hétérosexuelles sont propriétaires de leur logement, alors que seulement 47 % des personnes qui s’identifient comme homosexuelles ou bisexuelles sont propriétaires de leur logement. » Les personnes transgenres sont également victimes de discrimination en matière de logement. Une étude sur les besoins en matière de logement explique qu’un nombre important de personnes LGBTQ2+ interrogées ont été victimes de « discrimination de la part du propriétaire, de harcèlement de la part d’autres locataires et de luttes avec leur identité de genre et/ou leur orientation sexuelle », ce qui a contribué à causer une situation d’itinérance[7].

En d’autres termes, les personnes et les familles PANDC (noires, autochtones et de couleur) et LGBTQ2+ sont plus susceptibles d’être locataires. Comme le marché des copropriétés explose dans les centres urbains comme Toronto, cela signifie que nous sommes plus susceptibles d’interagir avec les conseils de copropriétés, que ce soit en tant que locataires ou propriétaires de condos. Le rapport met en évidence la discrimination qui fausse le marché de la location : « 93 % des agents d’immeuble noirs et 60 % de tous les consommateurs interrogés ne sont pas d’accord pour dire que la location est exempte de discrimination ; 43 % des agents d’immeuble disent avoir vu une affaire de location échouer à cause de la discrimination. » Enfin, le rapport révèle que peu de personnes sont enclines à signaler une discrimination « parce qu’elles ne pensent pas que des mesures seraient prises, qu’elles estiment que c’est un processus long et fastidieux, ou qu’elles ne savent pas où s’adresser pour obtenir de l’aide, entre autres raisons[8]. »

Compte tenu de ce que nous savons de l’omniprésence de la discrimination sur le marché du logement et de l’importance du logement pour la qualité de vie d’un individu, il serait opportun de prêter attention aux recours disponibles. Me Boutis a connu des retards importants après avoir déposé la plainte pour violation des droits de la personne qui a finalement été réglée. CTV a rapporté en octobre 2021 que « cela fait un an que la plainte [de Paula Boutis] a été déposée et elle ne sait même pas encore si le tribunal va l’accepter ». L’avocat de Me Boutis a expliqué qu’il y a « un arriéré important au Tribunal des droits de la personne » et que des retards de deux à trois ans n’étaient pas rares [9]. Bien que l’affaire ait été réglée depuis, le TDPO n’a « jamais statué sur la question [de la règle de la famille unique][10]  [10]. » (Le TDPO a par la suite décidé qu’« il n’était ni clair ni évident » que les questions ne relevaient pas de la compétence du tribunal et a autorisé la poursuite de l’affaire[11].)

RÉSOUDRE LE CONFLIT

Paula Boutis note que la Loi sur l’aménagement du territoire et le Code du bâtiment interdisent les règlements et les normes de zonage qui « ont pour effet de faire une distinction entre les personnes qui sont apparentées et celles qui ne le sont pas en ce qui concerne l’occupation ou l’utilisation d’une propriété ». Me Boutis soutient que « cela n’a aucun sens d’avoir un système provincial qui interdit les normes de zonage et de propriété sur la base de la relation, seulement pour permettre aux condos de prendre la décision de savoir qui est un propriétaire ou un résident acceptable, ce qui peut ou non être conforme au Code[12]. »

La suppression de la règle de la famille unique et l’adoption d’un processus qui répond aux préoccupations réelles permettraient d’éliminer une partie de la discrimination dans le domaine du logement aujourd’hui.

COMPÉTENCE CONCURRENTE

On a beaucoup écrit sur les avantages et les inconvénients de la compétence concurrente en matière de droits de la personne (voir : Tranchemontagne c. Ontario [Directeur du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées], 2006 CSC 14). La spécialisation et l’expertise du TDPO sont inégalées ; toutefois, les avantages sont importants lorsque des recours en matière de discrimination sont disponibles auprès de différents tribunaux.

Les retards au TDPO entravent l’accès à la justice. De plus, le Tribunal de l’autorité du secteur des condominiums (« TASC ») a une compétence concurrente avec le TDPO et, comme l’a noté le TASC, « la rapidité avec laquelle les questions sont tranchées pour les parties est une considération légitime…[13] ».

Conclusion

Tant que la règle de la famille unique ne sera pas retirée de la boîte à outils des conseils de copropriété, les contestations de son utilisation pourront être portées devant le TASC et le TDPO. Pour choisir le forum le plus approprié à un cas particulier, les particuliers devraient travailler avec leurs avocats pour évaluer les recours disponibles auprès de chaque tribunal, le délai probable et les faits de l’affaire.

Les inégalités sociétales plus larges aggravent les inégalités en matière de logement. Des réponses solides en matière de droits de la personne, y compris l’éducation et, le cas échéant, la compétence concurrente, sont nécessaires pour se protéger contre la discrimination et y répondre. Nos foyers peuvent être des lieux de répit et de rétablissement face à la discrimination à laquelle nous sommes confrontés dans le reste du monde, mais seulement si nous bénéficions d’une protection porteuse de sens contre la discrimination là où nous vivons. 

À propos des auteurs

photo of Kirsti (co-author)Kirsti Mathers McHenry (elle) est l’associée directrice de Mathers McHenry & Co, un cabinet spécialisé dans le droit du travail et le conseil aux cadres, ainsi que dans le droit du travail pour certains employeurs. Kirsti est également consultante auprès certains clients pour construire, améliorer et développer leur entreprise, programme ou organisation.

 

 

photo of Tamara (co-author)Tamara J. Sylvester (iel/ellui) est juriste et travaille au bureau des services des droits de la personne de l’Université métropolitaine de Toronto. En plus de mener des enquêtes sur les plaintes relatives aux droits de la personne et à la violence sexuelle à l’Université, iel offre de l’éducation et de la formation sur les politiques de l’Université en matière de droits de la personne et de violence sexuelle. Iel est également co-liaison des affaires publiques et membre de la rédaction du comité exécutif de la SOGIC. (tjsylvester@ryerson.ca)

REMERCIEMENTS

Les rédacteur et rédacteur adjoint de l’exécutif de la section SOGIC tiennent à exprimer leur gratitude aux personnes suivantes :

  • Erfan Buyan (il), avocat et agent principal de conformité, Autorité de réglementation des services financiers de l’Ontario, et membre du comité exécutif de la SOGIC, pour avoir porté cette question à l’attention du comité exécutif de la SOGIC.
  • Laurence Dutil-Ricard (elle/il), avocate au barreau de Junction Law, pour son soutien dans la révision de cet article.

 

Cet article a d’abord été publié sur la page des articles de la Section du droit relatif à l’orientation et à l’identité sexuelles (SOGIC) de l’ABO.

__________________

[1][1] Muskoka Condominium Corporation No. 39 c. Kreutzweiser, [2010] CSON 2463, au paragraphe 8 : La nature d’un condominium est qu’en échange des avantages obtenus par la propriété commune de certains éléments, on renonce à un certain degré de contrôle sur ce qui peut être fait avec ces éléments communs. Les détails de cette renonciation sont énoncés dans la déclaration de copropriété et dans ses règlements administratifs et règles. Le propriétaire ou l’occupant d’un logement a le droit et l’obligation de veiller à ce que ces règles soient respectées.

[2] Paragraphe 119(1) de la Loi sur les condos.

[3] La juge Aitken, au paragraphe 74.

[4] Nipissing Condominium Corp. No. 4 c. Kilfoyl, 2009 CanLII 46654 (CS ON)

[5] Paula Boutis c. Toronto Standard Condominium Corporation no 1922, Demande au TDPO — Numéro de référence 2020-09-11-09-09-501283.

[6] L.R.O. 1990, chap. H.19.

[7] https://homelesshub.ca/sites/default/files/LGBTQ2S%20Adult%20Housing%20Needs%20Assessment_Final%20Report_23Nov2017%20(1).pdf

[8] Voir : https://www.orea.com/~/media/Files/Downloads/2022-09-27%20Fighting%20for%20Fair%20Housing%20Report%20FINAL and, page 8

[9] https://toronto.ctvnews.ca/human-rights-complaint-filed-over-single-family-condo-restrictions-amid-concerns-of-lgbtq-discrimination-1.5643006.

[10]https://www.mondaq.com/canada/landlord-tenant-leases/1217190/affordable-housing-and-condos-singlefamily-rule39-requires-a-rethink.

[11]Ibid.

[12] Ibid.

[13] York Condominium Corporation No. 435 c. Karnis et al., 2022 ON TASC 86 aux par. 37-38.