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Une visite guidée de la Loi sur la construction récemment refondue

  • 05 décembre 2019
  • Ivan Merrow, avocat chez Glaholt LLP

Le 1er octobre 2019, la dernière phase de la Loi sur la construction ontarienne nouvellement refondue est entrée en vigueur, apportant toute une gamme de modifications à la manière dont les différends en matière d’ententes de construction seront résolus dans la province ainsi qu’aux délais légaux pour le paiement des fournitures et matériaux dans la chaîne d’approvisionnement.

Les entrepreneurs, les corps de métier, les propriétaires fonciers, les avocats et les prêteurs auront tous besoin d’orientations pour s’adapter aux nouvelles lois et aux nouveaux règlements. Maintenant que la réforme du droit de la construction en Ontario est « substantiellement achevée », certaines caractéristiques importantes de la nouvelle loi devraient être connues de tous les avocats.

Les occasions de servir les clients et le risque de négligence professionnelle ont augmenté

Les occasions de fournir aux clients des services et conseils additionnels dans le contexte du droit de la construction ont crû avec l’introduction de la nouvelle Loi sur la construction. Avec ces occasions, le risque que l’avocat commette une négligence professionnelle a augmenté de manière importante. Tout d’abord, les praticiens juridiques en Ontario voudront s’assurer que leurs conseils en matière de construction s’harmonisent à la bonne loi et aux échéanciers applicables.

Même si la nouvelle Loi sur la construction est maintenant pleinement en vigueur, des versions antérieures de la loi et des délais relatifs au privilège plus courts continuent de s’appliquer à certains contrats. Différentes versions de la Loi peuvent même s’appliquer à différents contrats du même projet. Les délais légaux en matière de construction en Ontario sont parmi les plus courts, sévères et implacables parmi les délais applicables aux sous-spécialités en droit canadien. Une fois qu’un privilège s’éteint, on ne peut généralement pas le renouveler. Il est donc crucial de repérer les dates limites pertinentes avant qu’il ne soit trop tard.

Présentement, un des trois régimes différents en matière de droit de la construction en Ontario s’applique à tout contrat donné :

  1. L’ancienne Loi sur le privilège dans l’industrie de la construction avec ses délais courts pour le privilège ;
  2. La phase 1 de la nouvelle Loi sur la construction, comportant la réforme de la retenue et une prolongation du délai pour le privilège ; ou
  3. La phase 2 de la nouvelle Loi sur la construction, soit l’ensemble des modifications de la Loi, y compris le paiement rapide et l’arbitrage intérimaire.

Il sera important de savoir quel régime s’applique pour offrir des conseils sur l’élaboration du contrat, la conformité et d’autre travail en amont, en plus des différends relatifs au paiement et au contrat de construction.

Tout tourne autour des dispositions transitoires

Afin de déterminer quelle version de la Loi sur la construction s’applique à un contrat ou à un différend donné, les avocats doivent garder en tête un certain nombre de concepts pertinents :

  1. La disposition transitoire : l’article 87.3 : c’est l’application de la disposition transitoire de l’article 87.3 de la Loi qui détermine si le régime applicable est la phase 1 de la nouvelle Loi sur la construction, la phase 2 de la nouvelle Loi sur la construction ou l’ancienne Loi sur le privilège dans l’industrie de la construction.
  2. Seul le « contrat principal » compte : au moment de déterminer quelle version de la Loi sur la construction s’applique, le « contrat principal » entre le propriétaire et l’entrepreneur est le seul contrat qui compte dans l’analyse en vertu de l’article 87.3. La date d’une entente de sous-traitance n’est pas pertinente pour déterminer ni la nouvelle Loi sur la construction régit cette sous-traitance. Le régime applicable à une sous-traitance est déterminé par le « contrat principal » duquel relève cette sous-traitance.
  3. Trois caractéristiques du « contrat principal » sont pertinentes : trois caractéristiques du « contrat principal » sont pertinentes pour les dispositions transitoires : si un processus d’approvisionnement a eu lieu, tel que défini dans la Loi sur la construction, si le « contrat principal » porte sur une amélioration locative et la date à laquelle le « contrat principal » a été conclu.

Selon les caractéristiques du « contrat principal » et les dispositions transitoires, jusqu’à trois versions différentes de la Loi sur la construction peuvent s’appliquer à toute question de droit de la construction en Ontario, comme suit :

  1. La Loi sur le privilège dans l’industrie de la construction : Tout « contrat principal » conclu avant le 1er juillet 2018 ou dont le processus d’approvisionnement a commencé avant le 1er juillet 2018 sera généralement régi par l’ancienne Loi sur le privilège dans l’industrie de la construction telle qu’elle existait le 30 juin 2018. Toutes les sous-traitances subordonnées à ce « contrat principal » sont aussi assujetties à l’ancienne Loi sur le privilège dans l’industrie de la construction. Cela est important étant donné les délais d’extinction du privilège exceptionnellement courts de l’ancienne Loi sur le privilège dans l’industrie de la construction (45 jours pour conserver un privilège et 45 jours pour le rendre opposable). Il est à noter que les « contrats principaux » portant sur des améliorations de lieux assujettis à un intérêt en tenure à bail seront régis par l’ancienne Loi sur le privilège dans l’industrie de la construction si le « contrat principal » a été conclu le 5 décembre 2018 ou avant cette date.
  2. Régime de la phase 1 de la Loi sur la construction : Pour les « contrats principaux » portant sur des améliorations de lieux non assujettis à un intérêt en tenure à bail, dont le processus d’approvisionnement a commencé entre le 1er juillet 2018 et le 30 septembre 2019, la phase 1 de la Loi sur la construction s’applique. De manière similaire, les « contrats principaux » sans processus d’approvisionnement conclus entre le 1er juillet 2018 et le 30 septembre 2019 sont assujettis à la phase 1 de la Loi sur la construction, y compris la réforme de la retenue et la prolongation des délais pour conserver un privilège et pour le rendre opposable (respectivement 60 et 90 jours). Pour les « contrats principaux » portant sur des améliorations de lieux assujettis à un intérêt en tenure à bail, la phase 1 de la Loi sur la construction s’applique seulement si le processus d’approvisionnement et/ou le « contrat principal » a été conclu entre le 6 décembre 2018 et le 30 septembre 2019.
  3. Régime de la phase 2 de la Loi sur la construction : Tout « contrat principal » dont le processus d’approvisionnement a commencé ou qui a été conclu après le 1er octobre 2019 sera assujetti à l’ensemble de la nouvelle Loi sur la construction. Cela comprend les nouveaux processus de paiement rapide et d’arbitrage intérimaire.

Étant donnés la nature détaillée des dispositions transitoires et le nombre de possibilités dans tout projet donné, les avocats feraient bien de respecter les délais les plus conservateurs en matière de privilège de l’ancienne Loi sur le privilège dans l’industrie de la construction, de conseiller à leurs clients d’exercer tôt et souvent leur droit à l’information en vertu de l’article 39, et de chercher les conseils d’experts en droit de la construction lorsque nécessaire.

Les délais de paiement légaux pour payer les entrepreneurs et les sous-traitants

L’une des caractéristiques principales de la nouvelle Loi sur la construction concerne l’introduction de délais de « paiement rapide » pour que les propriétaires paient les entrepreneurs et que les entrepreneurs paient les sous-traitants. Le paiement rapide vise à raccourcir l’échéancier des paiements pour les intervenants du monde de la construction. Les factures d’entrepreneurs ne peuvent plus être conditionnelles à l’approbation d’un propriétaire ou à la certification par une personne qui autorise le paiement. De façon similaire, le paiement des factures d’un sous-traitant ne peut être conditionnel à l’approbation d’un entrepreneur ou d’une personne qui autorise le paiement.

Les délais pour payer les entrepreneurs et les sous-traitants ont plutôt été imposés dans la Loi sur la construction et sont déclenchés à la livraison d’une « facture en bonne et due forme » définie dans la Loi. D’autres exigences pour une « facture en bonne et due forme » peuvent faire l’objet d’un accord entre les parties d’un contrat de construction tant que ces exigences s’harmonisent avec la Loi.

Il en résulte qu’il est peu probable que les dispositions « paiement sur paiement », qui subordonnent le paiement aux intervenants de moindre rang à la réception du paiement des échelons supérieurs de la hiérarchie de construction, soient conformes à la nouvelle Loi.

En vertu de la phase 2 de la Loi sur la construction, les propriétaires paient les entrepreneurs au plus tard 28 jours après avoir reçu une « facture en bonne et due forme ». Les entrepreneurs doivent à leur tour payer les sous-traitants au plus tard 35 jours après la livraison de la « facture en bonne et due forme » pertinente. Sept jours additionnels sont ajoutés pour chaque échelon de sous-traitant inférieur dans la hiérarchie de l’approvisionnement. Les sous-traitants et les fournisseurs peuvent souhaiter ajouter des exigences contractuelles afin d’être informés lorsqu’une « facture en bonne et due forme » est remise pour pouvoir calculer les délais pertinents en matière de conformité à la Loi sur la construction.

Si les propriétaires, les entrepreneurs ou les sous-traitants contestent une facture en totalité ou en partie, ils doivent signifier, dans un délai très court, un « avis de non-paiement » à la partie qui a remis la facture en question, comme suit :

  • Le propriétaire doit signifier un avis de non-paiement au plus tard 14 jours après avoir reçu une « facture en bonne et due forme ».
  • L’entrepreneur doit signifier un avis de non-paiement au plus tard 35 jours après avoir remis une « facture en bonne et due forme ».
  • Le sous-traitant a sept jours additionnels pour signifier un avis de non-paiement au corps de métier inférieur pour chaque sous-niveau (p. ex., 42 jours pour un sous-traitant de niveau 1, 49 jours pour un sous-traitant de niveau 2, ainsi de suite).

La signification d’un avis de non-paiement force une partie à soumettre la question à l’arbitrage intérimaire pour que le différend soit tranché. L’obligation est d’entreprendre un arbitrage 21 jours après la remise de l’avis de non-paiement. Les avocats feraient bien de se souvenir que les parties continuent d’avoir des privilèges en vertu de la nouvelle Loi sur la construction. Les privilèges devraient être enregistrés et exercés parallèlement au paiement rapide et au processus d’arbitrage intérimaire pour éviter leur expiration prématurée.

L’arbitrage intérimaire est unique et comporte des délais exceptionnellement serrés

L’arbitrage intérimaire est un processus accéléré de règlement des différends similaire à l’arbitrage privé. L’arbitrage est conçu comme étant « intérimaire » et on ne peut l’exercer que comme un recours avant l’achèvement d’un contrat donné. Les questions que l’on peut soumettre à l’arbitrage intérimaire sont définies dans la Loi sur la construction et comprennent entre autres : l’évaluation des services ou des matériaux fournis, les questions reliées à l’approbation d’un ordre de modification ou au paiement d’un ordre de modification, les différends qui font l’objet d’un avis de non-paiement, les montants retenus en compensation, le paiement ou le non-paiement d’une retenue et toute autre question sur laquelle s’entendent les parties à l’arbitrage intérimaire.

Après la remise d’un avis d’arbitrage intérimaire, la Loi sur la construction déclenche des délais très courts et précis pour la nomination d’un arbitre intérimaire et la participation des parties au processus d’arbitrage intérimaire. La Loi et ses règlements peuvent s’appliquer pour exiger qu’un arbitre intérimaire soit nommé et rende une décision en aussi peu que 30 à 44 jours.

Un nouvel organe administratif, l’ODACC (« Règlement des différends en matière de contrats de construction de l’Ontario ») a été créé pour administrer la nomination, la qualification et la formation des arbitres intérimaires en Ontario. Une liste initiale d’arbitres intérimaires a été publiée sur le site Web de l’ODACC. Les arbitres intérimaires n’ont pas à avoir reçu de formation juridique hors du processus d’orientation de l’ODACC et peuvent provenir de différents horizons professionnels au sein de l’industrie de la construction. Les avocats et les parajuristes qui prennent part aux arbitrages intérimaires devront prévoir une période d’apprentissage pour que les arbitres intérimaires provenant d’horizons non juridiques s’adaptent à leur nouveau rôle.

Les réformes sont en substance complétées, mais le travail d’interprétation ne fait que commencer

Les réformes de la Loi sur la construction sont maintenant entièrement en vigueur, mais pour les avocats, les parajuristes, les arbitres intérimaires et les intervenants du monde de la construction en Ontario, le travail d’interprétation des dispositions de la Loi et de leur application dans le contexte concret de la construction ne fait que commencer. Des écueils et des ambiguïtés continueront de faire surface à mesure que les parties examinent les dispositions détaillées de la Loi sur la construction et testent leurs théories contradictoires lors des arbitrages intérimaires.

Tout comme des projets de construction considérés comme étant « substantiellement achevés » peuvent laisser des questions de travail de finition, de déficiences, de retenues et de compensations à être déterminées avant que le travail soit véritablement achevé, l’interprétation et les menus détails de la nouvelle Loi sur la construction seront en chantier pour les années à venir. Entre-temps, les avocats en Ontario devraient se protéger contre des créances potentielles en adoptant une approche informée et conservatrice lorsqu’ils offrent des conseils sur des questions qui touchent la construction.