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L’isolement cellulaire à la croisée des chemins

  • 05 juin 2019
  • Michael Rosenberg

L’isolement cellulaire illimité demeure une réalité malheureuse dans les prisons canadiennes. L’objectif du soi-disant « isolement préventif » est de séparer les détenus dont la présence continue dans la population carcérale générale constituerait un risque pour la sécurité. En pratique, cependant, les détenus isolés sont confinés à de petites cellules, parfois sans fenêtre, pendant presque toute, sinon toute la journée. Aucune limite n’existe quant à la durée de l’isolement cellulaire des détenus, et aucun examen indépendant des décisions d’isolement n’est réalisé.

L’Association canadienne des libertés civiles, représentée par McCarthy Tétrault et Lax O’Sullivan Lisus Gottlieb, a contesté la pratique de l’isolement cellulaire prolongée dans les prisons canadiennes. L’ACLC a présenté des preuves venant de détenus, ainsi que d’experts en médecine, en gestion carcérale et en droits de la personne. Le juge Marrocco, juge en chef adjoint de la Cour supérieure de justice de l’Ontario, a conclu qu’« on ne peut sérieusement remettre en question que la pratique voulant que l’on garde un détenu en isolement préventif pour une période prolongée est nocive et contraire à un avis médical responsable. » Il a invalidé les dispositions de la loi autorisant l’isolement préventif.

Le juge Leask de la Cour suprême de la Colombie-Britannique est arrivé à des conclusions similaires dans une cause parallèle entreprise par l’Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique et la Société John Howard. Les déclarations d’invalidité constitutionnelles de l’Ontario et de la Colombie-Britannique ont toutefois été suspendues pour un an afin de permettre la mise en œuvre de lois rectificatives. Le Canada a demandé deux fois que la suspension soit prolongée, et la Cour d’appel de l’Ontario, malgré sa « grande réticence », a donné au Canada jusqu’au 17 juin 2019 pour obtempérer. 

Depuis, cependant, la Cour d’appel a publié sa propre décision relative à la contestation de l’ACLC, et étendu les conclusions d’inconstitutionnalité. Le juge Benotto a conclu que l’isolement cellulaire dépassant 15 jours constitue un traitement cruel et inusité que ne peut cautionner une société libre et démocratique. Plutôt que d’accepter cette décision, le Canada a demandé une autorisation d’interjeter appel à la Cour suprême du Canada, ainsi qu’une suspension provisoire qui lui permettra de continuer ses pratiques actuelles.

Nous sommes aujourd’hui à la croisée des chemins. Le Parlement débat du projet de loi C-83 qui vise à mettre fin à l’isolement cellulaire en remplaçant l’isolement par de soi-disant unités d’intervention structurées. Ce changement promet d’augmenter le temps que passent les détenus hors cellule et d’étendre la programmation pour fournir des contacts humains significatifs. Bien que les détails concernant ces nouvelles unités demeurent à déterminer, elles ont le potentiel d’améliorer la vie des détenus en isolement.

Malheureusement, le projet de loi C-83 poursuivrait la pratique de l’isolement extrême pour une période indéfinie. De plus, le projet de loi C-83 n’exige pas d’examen autonome après le cinquième jour ouvrable d’un isolement, comme l’exigeait le juge en chef adjoint Marrocco. Il ne limite pas non plus l’isolement cellulaire à 15 jours, comme l’exigeait la Cour d’appel. De surcroît, le projet de loi C-83 n’a pas exclu de l’isolement les groupes vulnérables comme les malades mentaux, les jeunes et les personnes en quête de protection. Il est donc justifié de croire que le projet de loi C-83 est d’ores et déjà inconstitutionnel.

L’ACLC a récemment exprimé ses inquiétudes à un comité du Sénat qui examine le projet de loi C-83. Il reste à voir si le Canada continuera de résister au consensus médical et juridique dans un effort pour maintenir l’isolement cellulaire prolongé. Le Canada a l’occasion de mettre fin à une pratique barbare et de s’élever jusqu’à la conformité aux normes internationales en matière de traitement des détenus. Pour ce faire, cependant, il doit abandonner sa demande d’autorisation d’interjeter appel, accepter les conclusions des tribunaux, et clore ce chapitre sombre de l’administration carcérale. Pour les centaines de détenus qui demeurent en isolement cellulaire aujourd’hui, un tel changement n’arrivera pas un instant trop tôt.

À propos de l’auteur

Michael Rosenberg est un associé du groupe du contentieux de McCarthy Tétrault et professeur adjoint à la faculté de droit de l’Université de Toronto. Il fait partie de l’équipe qui représente l’ACLC dans sa contestation constitutionnelle de l’isolement cellulaire prolongé, avec ses collègues Jonathan Lisus, Larissa Moscu et Charlotte-Anne Malischewski.