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L’intelligence artificielle, cette incomprise

  • 29 novembre 2018
  • Sean Lynch

Les avocats sont bombardés d’affirmations selon lesquelles l’intelligence artificielle (« IA ») va : 1) éliminer le besoin d’avoir recours à de nombreux avocats ou 2) tellement faciliter la vie des avocats que leur charge de travail en sera radicalement réduite. On sent là des relents des premières campagnes publicitaires sur les téléphones intelligents : plus besoin d’aller au bureau; réalisez tout votre travail à partir du vert de golf ou du chalet, etc.

La Dre Paola Cecchi-Dimeglio, spécialiste du comportement, chargée de recherche principale à la faculté de droit de Harvard et présidente de son initiative de recherche en leadership exécutif pour les avocates et les avocats issus de minorités au Center for the Legal Profession, affirme qu’« une bonne partie de ce qui forme l’IA demeure plutôt mal compris » et que cette mauvaise compréhension est problématique en ce qu’elle pourrait limiter les avantages que l’IA a à offrir[1].

Comme dans le cas des hyperboles qui ont entouré le téléphone intelligent, la réalité de l’IA est loin des théories tout en rose et des théories désastreuses qui sont lancées à travers le marché juridique. Une partie du problème de la compréhension de l’IA a trait à sa définition. Qu’est-ce que l’IA, exactement ?

La plupart des gens, sinon tous, ont entendu parler de l’analytique. L’analytique est essentiellement une façon d’organiser des données de manière à permettre la découverte de tendances dans ces données. Comme consommateurs, nous contribuons au nuage de données que l’analytique traite chaque jour, notamment en donnant une cote à une émission sur Netflix ou en utilisant une carte de points au magasin. Ces données sont analysées pour repérer des tendances comportementales. Ces tendances sont ensuite utilisées pour suggérer des émissions sur Netflix que vous pourriez aimer ou afficher des publicités qui concordent avec vos habitudes de magasinage. Par souci de clarté, une telle utilisation de l’analytique n’est pas « prédictive ». La technologie détermine plutôt ce qui est « probable ».

Alors, est-ce là de l’IA ? Certains répondraient oui, et d’autres non. On appelle maintenant « intelligence artificielle » tout système avancé d’analytique qui fournit de l’information ou des perspectives à partir de données avec une participation humaine minimale. Le problème, c’est que tous les systèmes d’« IA » actuellement disponibles ont besoin d’une interface humaine pour fournir ces perspectives. Des humains règlent les paramètres et enseignent au système ce qui est en haut, en bas, bien ou mal. Ces systèmes sont incapables de répondre à une question à moins qu’on leur ait déjà donné la réponse.

Revenons à l’exemple de Netflix. Dès qu’une cote est fournie, le système reçoit des données d’utilisateur. Le système a été programmé pour reconnaître qu’une cote de cinq étoiles signifie que la personne a aimé son expérience, alors qu’une cote d’une étoile signifie qu’elle ne l’a pas aimée. Chaque film ou émission sur Netflix se voit assigner de nombreux points de données, y compris le thème, la durée et les acteurs. En tenant compte de ces attributs, le système repère du contenu qui ressemble aux émissions ou aux films ayant obtenu une cote élevée. Pour chaque cote fournie par un utilisateur, le système repère du contenu possédant des attributs similaires que l’utilisateur, selon les cotes, peut aimer ou ne pas aimer. Netflix fera valoir ces émissions similaires parce qu’il présume que cet utilisateur aimera ce contenu. Ultimement, il s’agit d’une relation mathématique simple : le système donne la priorité aux émissions qui ont des points de données en commun avec toute émission à laquelle l’utilisateur a donné une cote élevée. Normalement, on ne considère pas qu’un tel processus constitue de « l’intelligence ». Ce processus qui a nécessité que l’on « enseigne » à un système se nomme plutôt « apprentissage machine ».

L’apprentissage machine – l’entraînement d’un système analytique informatique par un être humain – est au cœur de l’IA. Une fois ce processus de formation complété, ce qui exige typiquement l’entrée de données et une rétroaction humaine, le système met en application sa formation pour faire des inférences au sujet de données nouvelles. Dans le contexte juridique, ces inférences se traduisent par des économies substantielles. Par exemple, ces systèmes accélèrent les exercices de vérification préalable requis pour de nombreuses transactions ou, en ce qui concerne les litiges, permettent de réduire, efficacement et de façon justifiable, le nombre de documents que l’avocat doit examiner.

Au sujet de l’IA et de l’industrie juridique, il est critique de reconnaître que même si l’IA est déjà en usage, la technologie n’en est qu’à ses balbutiements. Elle évoluera avec le marché juridique. Les avocats actuels, comme les futurs avocats, devraient s’éduquer quant à ce que cette technologie peut offrir, à son potentiel pour aider les clients et à la mesure dans laquelle les cabinets l’adoptent. L’analytique et l’IA avancées n’enlèveront pas le travail juridique des avocats. La technologie permettra aux avocats et aux cabinets de réaliser du travail juridique de grande valeur et de renforcer la satisfaction des clients. Ultimement, l’objectif est de fournir les meilleurs résultats possible pour le client, au coût le plus bas. La technologie de l’IA soutiendra cet objectif et ouvrira la porte à la prochaine itération de services juridiques, qui verront la technologie comme une compagne, et non comme une menace.

À propos de l’auteur

Sean Lynch est directeur des services d’examen chez Ricoh eDiscovery.

 


[1] Thomson Reuters Legal Insights, « Ask Dr. Paola: how is AI changing the legal industry? », Thomson Reuters, https://blogs.thomsonreuters.com/legal-uk/2018/02/07/ask-dr-paola-ai-changing-legal-industry/ (11 octobre 2018).