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Nous n’y sommes pas encore ! Il est toujours aussi crucial de reconnaître les femmes qui luttent pour l’égalité: voici pourquoi…

  • 24 janvier 2017
  • Daniella Murynka

La semaine dernière, j’ai fait quelque chose qui a dépassé mes autres expériences angoissantes de jeune avocate : le cœur battant, j’ai appelé Claire L’Heureux-Dubé, qui a été juge à la Cour suprême de 1987 à 2002 et a été la deuxième femme nommée à ce poste au Canada. Comme membre de l’exécutif du Forum des avocates de l’Association du Barreau de l’Ontario, je contactais d’anciennes lauréates du Prix d’engagement en matière d’égalité remis par le Forum pour honorer des femmes féministes qui ont fait une promotion importante de l’égalité des femmes. J’appelais Mme L’Heureux-Dubé pour lui demander de me parler de son expérience comme lauréate du Prix en 1996, lors de sa toute première remise. 

Le Forum des avocates a la chance de compter sur de nombreuses membres actives depuis longtemps, y compris la très respectée Linda Silver Dranoff, elle-même lauréate du Prix en 2005 et fondatrice en 1992 du prédécesseur du Forum des avocates, le Comité d’analyse juridique féministe, devenu une section de l’OBA en 1993.

Comme présidente fondatrice du Comité, Mme Dranoff a eu l’honneur de présenter le premier Prix d’engagement à la Juge L’Heureux-Dubé il y a plus de 20 ans. « Énormément de gens sont venus y assister, m’a-t-elle dit lorsque je lui ai demandé ses souvenirs de la journée. Tout le monde était excité à l’idée de rencontrer la juge L’Heureux-Dubé et d’entendre son discours. » Dans sa présentation, Mme Dranoff a mis l’accent sur le fait que la jurisprudence de la Juge L’Heureux-Dubé reflétait une compréhension des besoins uniques des femmes en matière d’égalité. « Selon moi, la Juge L’Heureux-Dubé voyait les femmes et leurs besoins juridiques tels qu’ils étaient plutôt que selon les stéréotypes qui existaient au sein du droit. Ça a été une révélation pour l’auditoire de constater tout l’impact que pouvait avoir une juriste féministe, impact qu’elle a bien sûr eu. »

L’avocate recherchiste et ardente féministe Maryellen Symons, qui siège présentement à l’exécutif du Forum des avocates, était également membre du Comité au moment de la conception du Prix d’engagement. Lorsque je lui ai demandé pourquoi le Comité avait senti le besoin de créer le Prix, Mme Symons m’a expliqué que les membres du Comité voulaient combler une lacune dans les types de juristes et de travaux que récompensait l’ABO. « Même s’il y avait de nombreux prix également applicables aux hommes et aux femmes, m’a-t-elle dit, ces prix étaient surtout décernés à des hommes. Aucun prix n’honorait en particulier les femmes ni leurs progrès. Notre Prix était l’un des touts premiers à reconnaître les femmes de cette manière, et certainement le premier au sein de l’ABO. »

Comme le sait quiconque lutte pour l’égalité des femmes, le féminisme a toujours été un geste politique – même s’il n’est pas toujours populaire. Même de nos jours, de nombreuses personnes qui sont fonctionnellement féministes choisissent de ne pas utiliser ce mot. J’ai demandé à Mme Dranoff si les membres du Comité avaient des inquiétudes quant à l’acceptation par la collectivité de l’ABO du féminisme comme mandat juridique formel de premier plan. Le Comité craignait-il qu’un prix honorant nommément les féministes soit vu comme étant trop radical ? « Je ne me souviens pas de souci à ce sujet », m’a-t-elle dit, expliquant que le Comité jouissait d’une grande latitude pour promouvoir ses objectifs, ainsi que d’un appui étonnamment vaste au sein de l’ABO. « Nous nous appelions la “Section d’analyse juridique féministe”; nous rendions donc hommage à des féministes. Et nous le faisons depuis des années. »

En effet ! Depuis 1996, le Forum des avocates a récompensé douze femmes féministes pour leur travail extraordinaire de promotion de l’égalité des femmes. Chacune a été, sans doute aucun, une géante de son domaine.

Le Prix a été remis à des activistes universitaires, notamment en 2009 à la Dre Emily Carasco, professeure de droit et, en 2007, à la regrettée physicienne Ursula Franklin. Entre autres choses, la Dre Carasco a été commissaire aux droits de la personne pour l’Université de Windsor et commissaire lors des audiences sur l’apartheid de la province de l’Ontario. La Dre Franklin, quant à elle, a été activiste pour la paix au sein de Canadian Voice of Women for Peace, l’une des premières organisations féministes au Canada, et a également mené un recours collectif contre l’Université de Toronto parce que les femmes du corps professoral recevaient des pensions moins élevées car elles avaient historiquement été moins payées que leurs collègues masculins. Le Prix a également été décerné à l’auteure regrettée Doris Anderson et à la journaliste Michele Landsberg, en 1997 et en 2001 respectivement. Ces femmes se sont servies de leur puissante influence comme auteures (Mme Anderson comme rédactrice pour Chatelaine et Mme Landsberg comme chroniqueuse au Toronto Star) pour porter les enjeux féministes à l’avant-plan des médias canadiens.

De grandes avocates ont également été honorées. En 1998, le Prix a été décerné à Anne Derrick, avocate néo-écossaise du Dr Henry Morgentaler dans sa lutte pour l’accès à l’avortement, qui a depuis été nommée juge à la Cour provinciale de la Nouvelle-Écosse. En 2002, il a été remis à Mary Eberts, l’une des fondatrices du Fonds d’action et d’éducation juridiques pour les femmes (le « FAEJ ») et maintenant plaidante constitutionnelle en résidence du Centre Asper de l’Université de Toronto. En 2014, il a été décerné à Kate Hughes, avocate en droits de la personne qui a représenté le FAEJ dans l’importante décision de la pompière, une cause touchant la discrimination qui s’est rendue en Cour suprême (justement devant la Juge L’Heureux-Dubé). En 2012, c’est Mary Lou Fassel qui a été honorée, elle qui était alors directrice de la Barbra Schlifer Commemorative Clinic, une organisation sans but lucratif qui offre de l’aide et des services juridiques en droit de la famille et en droit de l’immigration à des survivantes de violence familiale et répond aux demandes d’assistance de milliers de femmes chaque année.

Les lauréates du Prix d’engagement en matière d’égalité sont donc en excellente compagnie. Il est cependant crucial de nous souvenir que le travail du féminisme est loin d’être terminé, particulièrement à la suite de l’élection de Donald Trump. Le Prix d’engagement en matière d’égalité du Forum des avocates, avec son objectif explicitement féministe, doit contribuer à appuyer la lutte vers une égalité plus vaste et intersectionnelle. 

En rédigeant cet article, j’ai eu la chance de discuter avec Brenda Cossman, professeure à la faculté de droit de l’Université de Toronto et directrice du Bonham Centre for Sexual Diversity Studies, qui a été lauréate du Prix en 2015. Nous avons parlé de la campagne photographique #LeDroitABesoinDuFéminismCar lancée par le Collectif des féministes en droit de McGill, qui explore les raisons pour lesquelles le droit a besoin du féminisme. « Je crois qu’il est évident que le droit a besoin du féminisme, m’a dit la professeure Cossman. La question est de savoir “quelle sorte ?ˮ Et quelle sorte de travail féministe devrions-nous reconnaître ? Nous devons élargir comment nous définissons les héroïnes féministes. »

Lorsque j’ai demandé quels types d’efforts devraient être soulignés, la réponse était prête : « Il y a encore tant à faire pour promouvoir l’égalité des femmes, à travers une vaste gamme d’enjeux et de populations, qu’on pense à la violence envers les femmes, aux conditions de travail précaires ou vulnérables, aux femmes autochtones disparues ou assassinées, aux travailleuses du sexe, aux femmes trans et aux autres personnes dont le genre n’est pas binaire, aux travailleuses étrangères temporaires ou aux sans-abris. » La liste des questions relatives à l’égalité des femmes est longue, et mieux nous comprenons l’inégalité et ses causes, plus elle s’allonge.

J’ai appelé la plus récente lauréate, Sukanya Pillay, directrice exécutive et avocate générale de l’Association canadienne des libertés civiles et du Fidéicommis canadien d’éducation en libertés civiles, qui m’a donné une vision similaire du féminisme : « J’ai toujours interprété le féminisme comme étant une lutte pour l’égalité, un combat contre la discrimination et les systèmes qui perpétuent la discrimination et les abus. La lutte pour l’égalité comprend tous les groupes et toutes les personnes qui ont été privés de droits ou ont subi des torts injustement. » J’ai demandé à Mme Pillay si elle croit que des prix comme le Prix d’engagement sont encore pertinents pour la cause féministe. « La reconnaissance des efforts pour protéger et promouvoir l’égalité est un outil important dans l’arsenal de la lutte pour l’égalité, m’a-t-elle répondu. Cela dissipe les perceptions erronées voulant que nous ayons fait tout ce que nous devions faire. »

Lorsque la remise d’un prix est bien faite, elle constitue donc en soi une forme de vigilance. D’abord, elle préserve les gains en matière d’égalité qui ont déjà été obtenus. Au cours de sa longue carrière, Mme Dranoff a combattu de nombreuses attaques contre le progrès juridique, et elle m’a avertie: « Les progrès que nous avons faits peuvent nous être enlevés si nous ne portons pas attention. Nos avancées peuvent être rognées progressivement de toutes sortes de manières insidieuses. Nous devons toujours porter attention à ce qui se passe. »

Récompenser le travail des femmes pour l’égalité contribue aussi à éclairer les nouveaux défis en matière d’égalité. Lorsque j’ai discuté avec Mme Pillay, elle m’a parlé des efforts de l’Association canadienne des libertés civiles pour répondre au panorama changeant des droits à l’égalité : « De mon point de vue, pour s’assurer de ne pas faire preuve de discrimination envers les groupes vulnérables, nous devons être vigilants quant aux défis nouveaux et continus auxquels font face ces groupes. Les remises en question de l’égalité évoluent et changent, m’a-t-elle dit. Les défis liés aux droits des personnes transgenres, par exemple, n’étaient pas historiquement sur le radar public comme ils le sont aujourd’hui. »

Enfin, lorsque des groupes comme le Forum des avocates attirent l’attention vers le travail continu pour l’égalité, ils rappellent à la collectivité que le but n’est pas atteint. En ce sens, la vigilance répond à l’apathie, à la croyance dangereuse et erronée que le pavillon féministe peut être abaissé.

Lorsque j’ai parlé avec Claire L’Heureux-Dubé, j’ai expliqué que, comme de nombreuses lauréates du Prix, je crois que le travail des féministes est loin d’être terminé. J’ai dit que continuer d’honorer des femmes était crucial pour l’effort qui se poursuit. « Vous n’avez pas à me convaincre ! m’a-t-elle dit. Je suis évidemment d’accord : la lutte n’est pas encore achevée. » Lorsque je lui ai dit que le Forum des avocates espérait son aide pour en convaincre d’autres, elle nous a offert cet appel à l’action avec son élégance caractéristique :

 « Tout le monde (femmes comprises) a le droit de poursuivre ses objectifs et ses rêves : c’est une question de droits de la personne, une question de justice, n’est-ce pas ? Eh bien non, pas exactement : après un long moment et après une bien longue marche, nous ne pouvons toujours pas tenir l’égalité comme acquise. Le Prix du Forum des avocats est une façon de souligner ce qui a été accompli et de nous souvenir des prochaines étapes requises pour atteindre l’égalité complète dans tous les aspects de nos vies. Nous n’y sommes pas encore ! »

La période de mise en candidature pour le Prix d’engagement en matière d’égalité du Forum des avocates se poursuit jusqu’au 10 février 2017. Les candidatures peuvent maintenant être soumises en ligne et peuvent viser toute avocate ayant contribué aux progrès de l’égalité des femmes au Canada. Soumettre une candidature est aussi un geste important, je le souligne. Non seulement les femmes qui luttent sans relâche pour l’égalité ont besoin d’être reconnues, mais leur nomination est un énoncé public de l’importance des valeurs féministes intersectionnelles au sein de notre collectivité juridique. Dans le climat politique actuel, nous avons désespérément besoin de ce genre d’affirmations et du travail dont elles font la promotion.

Lors de ma conversation téléphonique avec Mme Symons, je lui ai demandé ce qu’elle ressentait au sujet de son appartenance à l’exécutif du Forum des avocates et en réfléchissant à la longue histoire du Prix. « Je suis très satisfaite que nous ayons été capables de mener le Prix jusqu’ici », m’a-t-elle dit. Selon elle, le Prix a encore une longue route devant lui. « Jusqu’au jour où nous atteindrons véritablement l’égalité, y compris l’égalité intersectionnelle, nous devons nous battre pour la bonne cause. » En d’autres mots, peut-être plus que jamais, que ce soit pour lutter activement ou pour honorer les femmes qui le font, il est temps de retrousser nos manches. 

À propos de l’auteure

Daniella Murynka est associée chez Ricketts, Harris LLP.

Publié à l’origine par le Forum des avocates de l’ABO.

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