À qui appartiennent vos comptes de médias sociaux?

  • 25 avril 2017
  • Dan Ciraco

La majorité des entreprises ont adopté les médias sociaux comme étant un outil marketing viable et efficace pour interagir avec leurs clients et leurs clients potentiels. Non seulement les entreprises, mais même les individus font maintenant une obsession de leur « marque personnelle ». La frontière entre l’image personnelle et professionnelle, sur les médias sociaux, commence à se brouiller, en particulier pour les employés qui travaillent dans le public, comme ceux qui œuvrent en vente, en marketing et en communications. Cela est aussi vrai pour les employés en haut de la hiérarchie, comme les vice-présidents et les cadres dirigeants, dont l’identité professionnelle est virtuellement impossible à distinguer de l’identité personnelle.

Tout ce flou relatif aux médias sociaux peut vous mener à vous interroger quant à l’appartenance d’un compte de média social : appartient-il à l’employeur ou à l’employé? Ce domaine juridique est encore en développement, mais certaines causes valent qu’on s’y arrête.

PhoneDog, LLC c. Noah Kravitz [Cause No 3:11-CV-03474-MEJ (N.D. Cal. 2011)]

Dans ce différend portant sur des abonnés Twitter, les questions centrales étaient de déterminer si les comptes Twitter et leurs mots de passe pouvaient constituer des biens de l’entreprise ou des secrets commerciaux.

PhoneDog est une ressource mobile interactive en ligne d’actualités et de critiques de produits et de services mobiles. L’entreprise se sert d’une variété de médias sociaux, dont Twitter, Facebook et YouTube, pour mettre en marché et promouvoir ses services.

Noah Kravitz a commencé à travailler pour PhoneDog en avril 2006. On lui a donné accès au compte Twitter « @PhoneDog_Noah », qui a fini par amasser 17 000 abonnés. Noah Kravitz a quitté PhoneDog en 2010 et refusé de redonner le compte Twitter. Au lieu de cela, il en a changé le nom de « @PhoneDog_Noah » à « @noahkravitz » et a utilisé le compte pour faire la promotion de son nouvel employeur, un concurrent de PhoneDog.

PhoneDog a allégué que les comptes Twitter utilisés par ses employés, ainsi que les mots de passe et autres renseignements associés à tous les comptes « @PhoneDog_NAME » constituaient des renseignements confidentiels exclusifs. PhoneDog a plaidé que l’usage continu par Kravitz des biens de PhoneDog pour faire la promotion d’un concurrent était illégal et avait nui à ses affaires. PhoneDog a poursuivi pour appropriation illicite de secrets commerciaux et interférence avec un avantage économique, et affirmé que les abonnés Twitter avaient une valeur de 2,50 $ chacun par mois d’utilisation du compte par Kravitz, cherchant à obtenir des dommages-intérêts de 340 000 $ (2,50 $ x 17 000 x 8 mois). Kravitz a argumenté que PhoneDog n’avait pas de droit de propriété sur le compte, car tous les comptes Twitter sont la propriété exclusive de Twitter et de ses concédants (conformément aux modalités d’utilisation).

Le 8 novembre 2011, la cour américaine de district du District Nord de la Californie a refusé la demande de Kravitz de rejeter la cause, soutenant que le compte Twitter et son mot de passe pouvaient constituer un secret commercial en vertu des lois californiennes et que les gestes de Kravitz pouvaient constituer une appropriation illicite.

Même si les parties ont finalement conclu un accord extrajudiciaire et que Kravitz a eu le droit de conserver « @noahkravitz » comme nom de compte Twitter, cette cause illustre que certains tribunaux reconnaissent la valeur des médias sociaux. En particulier, les comptes Twitter et leurs mots de passe pourraient constituer des secrets commerciaux, et le refus par un employé de se dessaisir d’un compte pourrait constituer un usage illicite d’un secret commercial ou « l’appropriation illicite d’un secret commercial. »

Eagle c. Morgan [Cause No 2:11-CV-4303-RB (E.D. Pa. 2011)]

Dans cette cause impliquant un vol allégué d’identité et de droits de la personnalité sur LinkedIn, la cour a tranché en faveur de l’employée, mais la victoire de celle-ci a été relativement creuse.

La Dre Linda Eagle était PDG d’une entreprise d’éducation bancaire nommée Edcomm. Après le licenciement de la Dre Eagle, l’entreprise a supposément changé le mot de passe de son compte LinkedIn, l’empêchant d’y accéder, puis remplacé son nom et sa photo par ceux de la personne l’ayant remplacée.

La Dre Eagle a poursuivi son ancien employeur pour son usage continu de son compte LinkedIn après sa cessation d’emploi. Elle a soulevé un certain nombre d’autres causes d’action.

En octobre 2012, la cour américaine de district du District Ouest de la Pennsylvanie a rejeté toutes les allégations fédérales pour ne traiter que des allégations étatiques. Elle a donné raison à la plaignante quant à ses allégations d’usage non autorisé de son nom, d’atteinte à la vie privée par appropriation illicite d’identité et d’appropriation illicite de publicité. Malheureusement pour la Dre Eagle, la cour lui a octroyé 0 $ en dommages-intérêts, car elle a été incapable de prouver qu’elle avait perdu des contrats.

Bien que l’entreprise ait encouragé les employés à créer des comptes LinkedIn et qu’elle ait eu des lignes directrices couvrant le contenu en ligne, la cour a noté que l’entreprise n’avait pas informé les employés que leurs comptes LinkedIn appartenaient à la société.

La cour a conclu en faveur d’Edcomm quant aux autres causes d’action. La cour a également conclu que la conversion ne s’appliquait pas, parce que le profil LinkedIn était un bien intangible. La cour n’a pas octroyé de dommages punitifs, car l’absence de contrat de propriété signifiait qu’il était tout aussi probable qu’Edcomm ait agi pour protéger ses intérêts que pour causer du tort à la Dre Eagle.

Thoi Bao Inc. c. 1913075 Limited (Vo Media) (2016 FC 1339)

Entre-temps, ici, au Canada, devant une violation effrontée de la propriété intellectuelle par un ancien employé, la cour a reconnu la valeur des médias sociaux et offert un remède radical comprenant le transfert des comptes de médias sociaux.

M. Vo a été à l’emploi de Thoi Bao Inc., une entreprise de nouvelles en langue vietnamienne, comme caméraman de télévision, monteur, superviseur et webmestre, du 31 août 2013 au 31 juillet 2014. Le principal site Web de Thoi Bao Inc. est le www.thoibao.com. Alors qu’il était encore employé de Thoi Bao, M. Vo a enregistré le nom de domaine www.thoibaotv.com et y a offert de la programmation en vietnamien.

Thoi Bao a poursuivi son ancien employé et la Cour fédérale a octroyé des dommages-intérêts et accordé une injonction pour violation de marque de commerce et de droits d’auteur. La question de la violation peut sembler évidente, mais il est intéressant que la cour ait également ordonné que tous les comptes de médias sociaux soient aussi transférés à Thoi Bao. La cour a ordonné à M. Vo de transférer à Thoi Bao la propriété et tous les droits d’accès, d’administration et de contrôle pour et concernant le domaine www.thoibaotv.com ainsi que « [traduction] tout autre nom de domaine, compte Facebook, compte Twitter ou autre compte de médias sociaux enregistré ou contrôlé par M. Vo contenant “Thoi Bao”, “TBTV” ou “Thoi Bao TV” ou toute autre marque de commerce similaire causant de la confusion. »

Pratiques exemplaires : éviter une appropriation illicite potentielle de vos comptes de médias sociaux

Maintenant, vous vous demandez peut-être quoi faire si votre entreprise ou celle de vos clients a des employés qui sont responsables des publications sur les comptes de médias sociaux de l’entreprise. Étant donné l’usage accru des médias sociaux et tenant compte des trois affaires ci-dessus, il est important que les employeurs protègent les comptes de médias sociaux de l’entreprise. Afin de mitiger les risques d’appropriation illicite des comptes de médias sociaux d’une entreprise, prenez en compte les pratiques exemplaires et conseils que voici :

1.           Ayez en place une politique relative aux médias sociaux : la politique de l’employeur sur les médias sociaux devrait énoncer la propriété des comptes de médias sociaux de l’entreprise et leur accès ainsi que toutes les informations et communications qui sont associées à ces comptes. La politique devrait interdire aux employés de réaliser leur travail officiel par l’entremise de comptes personnels de médias sociaux en leur propre nom. Les politiques générales d’emploi devraient aussi clarifier que tout ce que l’employé crée pendant les heures de travail ou avec les ressources de l’entreprise appartient à l’employeur.

2.           Ayez des ententes d’emploi claires : vos contrats d’emploi devraient établir de façon claire que les comptes de médias sociaux appartiennent à l’entreprise, y compris leurs amis et abonnés, et que l’employé renonce aux droits relatifs à ces comptes. Cela est particulièrement important pour les employés auxquels on demande d’utiliser les médias sociaux pour mettre en marché et promouvoir les produits ou les services de l’entreprise.

3.           Enregistrez et administrez les comptes de médias sociaux au nom de l’entreprise : enregistrez et utilisez les comptes de médias sociaux en utilisant le nom de l’entreprise (p. ex. « ABC inc. » vaut mieux que « ABC inc. – Nom de l’employé » ou que « Nom de l’employé d’ABC inc. ». Cela aidera à créer une distinction claire entre les comptes de médias sociaux de l’entreprise et de l’employé. Si la plateforme du média social exige le nom d’une personne avant l’inscription, utilisez celui d’un cadre en marketing. Gardez les renseignements sur le compte et les mots de passe dans une base de données centrale, accessible par l’employeur, afin d’éviter les comptes orphelins. Limitez également le contrôle administratif des comptes.

4.           Au moment d’acquérir une autre entreprise, n’oubliez pas les comptes de médias sociaux : si vous procédez à l’achat d’une autre entreprise, incluez les comptes de médias sociaux dans le processus de vérification diligente. Assurez-vous que l’autre entreprise sera en mesure de transférer les comptes pertinents.

Tout cela ne veut pas nécessairement dire qu’un employeur devrait tenter de posséder tous les comptes de médias sociaux de ses employés. On doit tenir compte du rôle de chaque employé et des normes applicables à l’industrie. En fait, dans certaines industries, un employé peut être embauché précisément pour ses abonnés, et il peut ne pas être approprié de s’attendre à posséder ses comptes de médias sociaux. L’important est de ne pas sous-estimer la valeur des médias sociaux et de se souvenir de tenir compte d’avance des attentes des parties.

Apropos de l'auteur

Dan Ciraco est responsable du droit commercial pour la Canadian Broadcasting Corporation.

 

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