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Opinion : l’alarmisme n’est pas une solution pour la réforme de la justice pénale

  • 10 avril 2017
  • Jody Berkes

Un fermier se plaignait à un autre : « J’avais un excellent cheval. Il était fort, en bonne santé, et faisait tout ce que je lui demandais, mais il mangeait trop. Aussi chaque jour je lui donnais la moitié de ce que je lui avais donné la veille. Juste au moment où tout commençait à bien aller et où je ne le nourrissais plus, il est mort. » 

L’administration de la justice est coûteuse. Les uns après les autres, les gouvernements ont cherché à y consacrer de moins en moins d’argent, ce qui a mené le système à accuser du retard. 

L’été dernier, la Cour suprême du Canada, dans R. c. Jordan, a statué que les retards qui gangrènent le système de justice pénale depuis un quart de siècle ne seront plus tolérés. La majorité a fixé à 18 mois le plafond présumé pour compléter les affaires par procédure sommaire, et à 30 mois pour les questions de mise en accusation. Certains ont réagi par la panique, annonçant que nous allions être submergés par une marée de sursis judiciaires. Certaines causes importantes ont déjà été suspendues. Certaines de ces suspensions seront confirmées en appel, d’autres ne le seront pas, et le catastrophisme n’aide en rien à régler le problème. 

À cause de cette crainte, certains ont demandé que le gouvernement fédéral abolisse l’enquête préliminaire sauf pour les questions relevant de l’article 469 (p. ex. alarmer Sa Majesté). Les alarmistes disent que, comme l’appendice humain, l’enquête préliminaire ne sert plus à rien. Je leur recommande de lire l’article de Webster et Bebbington intitulé « Why Re-open the Debate on the Preliminary Inquiry? Some Preliminary Empirical Observations » dans l’édition d’octobre 2013 du Canadian Journal of Criminology and Criminal Justice avant de suggérer que l’élimination de l’enquête préliminaire permettrait d’accélérer le système de justice. Cet article suggère que : 

  • les accusés n’optent pas tous pour l’enquête préliminaire; 
  • (à l’exception du Québec) les enquêtes préliminaires forment moins de 5 % de la charge de travail des tribunaux provinciaux;
  • lorsqu’on l’utilise, l’enquête préliminaire n’est pas aussi exigeante en ressources qu’on pourrait le croire; 
  • (dans 9 provinces sur 11) le plus souvent, l’enquête préliminaire mène à un règlement sans instance en Cour supérieure. 

Il est vrai que le système doit être modifié; il est aussi vrai que seul le gouvernement fédéral a le pouvoir d’apporter des changements au Code criminel, mais les alarmistes se trompent dans leur demande.

Ils devraient plutôt demander les changements suivants :

  • Nomination de juges pour pourvoir les postes vacants dans les Cours supérieures;
  • Recul des peines minimales obligatoires; 
  • Augmentation du nombre d’infractions admissibles aux peines avec sursis; 
  • Retour de la discrétion des juges relative à l’octroi de crédit pour le temps passé en détention avant procès. 

Nous nommons des juges parce qu’ils appliquent la loi de façon juste et impartiale. Pourquoi donc les menotter au moment de déterminer les peines? Les peines minimales obligatoires forment la principale entrave à la résolution des causes. Qu’on me montre une affaire dans laquelle toutes les parties peuvent argumenter à leur guise, de manière créative, au sujet de ce qui pourrait constituer une peine équitable, et je vous montrerai une affaire qui a fait les deux tiers du chemin vers une résolution juste. Qu’on me montre une cause impliquant une peine minimale obligatoire, et je vous montrerai une affaire destinée à une instance qui s’étire et se prolonge sans but.

La Couronne est une autre partie du système qui bénéficierait d’une discrétion accrue. Il n’est pas rare qu’un procureur de la Couronne me dise souhaiter retirer ou résoudre une cause, mais qu’une politique du ministère du Procureur général l’empêche d’utiliser sa discrétion. Les politiques de tolérance zéro bloquent nos tribunaux avec les détritus de causes qui ne devraient jamais se rendre jusqu’à l’instance. Je comprends ce qui motive la rédaction de politiques. Mais lorsqu’on refuse d’abord une demande d’engagement de ne pas troubler l’ordre public pour l’offrir ensuite la veille du procès, la politique paternaliste gaspille le temps du tribunal et retarde d’autres causes qui auraient pu profiter du temps de la cour. 

L’Alberta a récemment publié un protocole de triage pour les poursuites, intitulé « The Alberta Justice and Solicitor General Prosecution Service Practice Protocol ». Les médias ont dépeint l’arrêt Jordan comme forçant les procureurs à faire un choix déchirant entre les cas à poursuivre et ceux à laisser tomber. La décision peut être difficile, mais on ne peut pas prétendre qu’il soit injuste de l’exiger des procureurs. Tous les acteurs gouvernementaux (comme la plupart d’entre nous, qui travaillons pour gagner notre vie) doivent faire des choix pour utiliser au mieux un nombre limité de ressources. Peu importe la décision, quelqu’un y perdra : ainsi va la vie.  

Les gouvernements provinciaux et fédéral pourraient prendre d’autres mesures importantes pour réduire les retards :

  • Augmenter le financement de l’aide juridique; 
  • Utiliser les communications préalables au civil au lieu des enquêtes préliminaires officielles; 
  • Accélérer le processus de cautionnement; 
  • Donner à l’accusé le droit absolu à un procès devant un juge seul pour les questions menant à une mise en accusation; 
  • Fournir la divulgation à la défense plus rapidement;
  • Détourner plus de causes hors du système de justice pénale (comme celles qui impliquent la maladie mentale ou la toxicomanie).

Notre système de justice pénale n’est pas parfait, mais je crois fermement que c’est le meilleur au monde. Comme le cheval de l’agriculteur, notre système a trop longtemps souffert d’un manque de juges, de procureurs et de personnel pour traiter le nombre actuel de dossiers qui se présentent. Nous devons investir des ressources et donner aux juges et aux procureurs la liberté d’utiliser leur jugement et leur discrétion pour exercer la justice au lieu de gérer des politiques législatives. 

En ce qui concerne l’élimination de l’enquête préliminaire ou d’autres droits de l’accusé, l’Association du Barreau de l’Ontario a écrit à la ministre de la Justice Jody WilsonRaybould, lui disant :

[Traduction]… les questions que la Cour suprême a soulignées dans Jordan ne sont pas nouvelles, et cette décision n’a pas causé une crise au Canada. Elle a mis l’accent sur le besoin d’une approche exhaustive et fondée sur la preuve pour la réforme du droit criminel; elle n’a pas suggéré qu’il faille amputer le système de justice pénale de certains de ses aspects importants dont l’utilité est démontrée, comme l’enquête préliminaire.

J’enjoins à la ministre (et aux procureurs généraux) de s’assoir avec l’Association du Barreau canadien pour discuter des idées de réforme. J’assisterai à cette réunion. J’achèterai même des Tim Bits. 

 

A propos de l'auteur

Jody Berkes est associé chez Berkes Newton-Smith. Il est président de la section de droit criminel de l’ABO et secrétaire de la section de justice pénale de l’ABC. Ses opinions n’impliquent que lui, sans refléter nécessairement celles de l’ABO et de l’ABC.  

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