Wooden doors with a Open sign on them

Bâtir ou acheter? Démarrer votre propre cabinet d’avocat

  • 10 avril 2017
  • Aaron Grinhaus

 

Joe est avocat et travaille dans un cabinet de taille moyenne au centre-ville. Il travaille dans un domaine juridique qu’il aime environ 50 heures par semaine, avec des gens qu’il aime, et il n’habite qu’à 20-25 minutes de son travail. Son salaire, cependant, ne représente qu’une fraction de ce qu’il facture, et son horaire n’est pas très flexible. Ses clients l’aiment, cependant, et il aime bâtir des relations.

Autre chose encore : Joe en est venu au point où il redoute d’aller au travail chaque matin. Il fait la même chose jour après jour, et rien ne le motive sauf une prime qui ne reflète que rarement la somme qu’il permet au cabinet de gagner. Il sait que le moment est venu pour un changement, mais il n’est pas chaud à l’idée de passer à un autre cabinet, et avec une jeune famille, il n’est pas certain de pouvoir courir le risque de démarrer son propre bureau. Joe est immobilisé dans une « cage en or » (fictive).

Si vous modifiez quelques faits, est-ce que ce portrait vous ressemble? Si oui, vous n’êtes pas seul, et vous n’êtes pas sans ressources! Faire le saut d’employé à entrepreneur en achetant ou en bâtissant un cabinet d’avocats est possible, malgré ces obstacles qui semblent vous bloquer le chemin vers la « terre promise » de l’indépendance.

Pénurie de connaissances

Pendant les études en droit, on apprend comment effectuer des recherches et lire les textes de loi, mais en ce qui concerne la réalité du monde, il y a pénurie de connaissances. En théorie, le stage doit combler cet écueil, mais outre les volumineux guides que fournit le Barreau du Haut-Canada, il n’y a aucune méthode officielle par laquelle les activités pratiques liées à l’exploitation d’un cabinet sont transmises aux avocats, qu’ils soient aspirants, débutants ou même expérimentés. En fait, les cabinets ont précisément intérêt à s’assurer que leurs avocats dépendent de leurs systèmes et de leurs processus pour maintenir la relation symbiotique qui est si rentable.

Lorsqu’on réfléchit à se lancer en affaires, on a généralement deux options : bâtir en neuf ou procéder à un achat. Ces deux options entraînent de nombreuses considérations et des obligations onéreuses : la comptabilité selon les règles du Barreau, la gestion du compte en fiducie, l’embauche d’employés, le choix de bons professionnels pour aider à gérer vos affaires bancaires, financières et autres, les ressources à trouver pour le stockage de documents, les TI et la gestion des données relatives aux clients, le marketing, et plus encore. Tout cela avant même d’avoir exercé votre profession.

Démarrer son propre cabinet relève en partie de l’art plutôt que de la science, mais les conseils ci-dessous vous aideront à vous orienter sur le chemin de l’indépendance.

1) Trouvez un mentor!

Que vous soyez un débutant qui part de zéro ou que vous quittiez un cabinet pour fonder le vôtre, il est crucial d’avoir quelqu’un vers qui vous tourner pour obtenir de sages conseils. Même dans « Le Parrain », Don Corleone, l’archétype du meneur et de l’homme d’affaires (même s’il se trouve de l’autre côté de la loi), avait son « consigliere », un avocat vers lequel il se tournait pour obtenir un autre point de vue et des conseils, et cela même si Don Corleone avait, disons-le, moins de règles à respecter qu’un avocat!

J’allais dire que démarre votre propre cabinet sans mentor est comme apprendre à faire du vélo sans petites roues, mais en réalité, ce serait comme essayer d’apprendre sur un vélo… qui n’a pas de roues du tout. Le plus grand défi, c’est de ne pas savoir ce que vous ignorez, et un mentor peut vous aider à éviter la grande majorité des écueils et des pièges associés au démarrage d’un cabinet juridique. Avoir accès à quelqu’un d’expérience en qui vous avez confiance vous ouvrira les yeux sur un monde que vous n’auriez jamais vu en travaillant dans un cabinet ou en entreprise.

2) Réunissez la bonne équipe

Peu importe que vous vous lanciez dans un partenariat ou que vous démarriez votre cabinet seul, vous n’exercerez jamais vraiment en solo. En plus de votre mentor, il y aura une équipe de gens en coulisses, qui vous aideront à gérer vos activités quotidiennes, même si cette équipe peut être très restreinte au départ (c.-à-d. un comptable, un conseiller financier et une équipe de bureau rudimentaire). L’équipe s’accroîtra avec le temps pour comprendre des adjoints juridiques, des employés de bureau, des comptables, d’autres employés à temps plein ou partiel, etc., et l’essentiel est d’y aller selon vos besoins.

Il faut aussi reconnaître, même si bien des avocats ne le font pas, que vous êtes humain, que vous devez dépenser pour gagner de l’argent, que vous ne pourrez pas tout faire seul et que vous ne devriez pas essayer de le faire. Déléguer et investir sont deux stratégies clés pour mener à bien la croissance de votre entreprise. Au début, il peut sembler inimaginable d’avoir besoin d’aide pour boucler vos dossiers. Pourtant, croyez-moi : les trois à six mois qui mèneront à vos premiers dossiers actifs passeront très rapidement, et vous ne voulez pas vous précipiter pour trouver les bonnes personnes pour vous soulager du fardeau administratif que vous devez gérer. Vous verrez à mesure que vos affaires croissent que c’est l’administration, plutôt que l’exercice du droit, qui gobera une plus grande proportion de votre temps que prévu.

3) Planifiez, planifiez, planifiez

Exploiter une entreprise exige du temps. Beaucoup, beaucoup, beaucoup de temps. Du temps que vous auriez passé en famille. Du temps que vous auriez consacré à vos loisirs. Pour être franc, même du temps que vous auriez passé à manger ou dans la salle de bain. Si vous venez d’un cabinet ou d’une entreprise, vous risquez d’être pris au dépourvu par les innombrables questions d’administration et de conformité qui menacent de consommer tout votre temps. Cela s’explique souvent par le fait que comme employé, vous n’auriez jamais eu à gérer les choses comme les dépôts bancaires, les vérifications par le Barreau, les pannes de service Internet, ou même les coups de téléphone après les heures de bureau. Si vous réalisez qu’un appel manqué peut vous faire perdre un contrat, vous répondrez aux appels de numéros inconnus même en soirée (du moins au début), car chaque contact a le potentiel de justifier l’investissement que vous avez fait dans votre entreprise. C’est exactement ce que tout ce temps devient : un investissement, et non un sacrifice.

La meilleure façon de mitiger ce risque est de planifier et d’établir d’avance un budget. Par exemple, il est fort probable que le Barreau du Haut-Canada procède à une vérification durant votre première année d’exercice. Vous pouvez donc vous y préparer en ayant les bons systèmes en place pour effectuer un suivi adéquat de votre comptabilité et de vos pratiques de gestion de bureau. De cette façon, vous ne gaspillerez ni temps ni argent lorsque la vérification s’annoncera.

La planification sert aussi à trouver le temps de faire les choses qui comptent pour vous. Le bien-être mental et physique est extrêmement important, et pour y arriver il faut consacrer du temps à ce qui est important pour vous, comme passer du temps avec vos amis et votre famille, relaxer, regarder des émissions en rafale, faire de la randonnée ou même, pour les êtres étranges qui le souhaitent, s’entraîner.

4) Démarrer ou acheter un cabinet?

Si vous vous êtes déjà demandé à quoi il servirait de réinventer la roue, la réponse est que parfois il est moins coûteux de bâtir avec des matériaux que vous avez déjà que d’acheter à un prix qui comprend une marge bénéficiaire. Et certaines roues valent mieux que d’autres. Cela vaut aussi pour les cabinets juridiques.

Si vous en achetez un, il a un prix, et vous payez pour sa « cote d’estime ». Celle-ci est essentiellement constituée de la clientèle existante, du numéro de téléphone et du site Web, qui ont tous une valeur.

Nadim Kurji, qui a acheté un cabinet à Cobourg, Ontario, il y a environ un an (Hustler Kay Kurji & McCourt), a quelques avertissements à transmettre aux avocats qui souhaitent faire comme lui. Son expérience a été enrichissante, mais il faut relever plusieurs défis, comme concilier les méthodes modernes de l’exploitation d’un cabinet aux systèmes en place dans un bureau plus vieux. « Je suis en train de tenter de moderniser un cabinet qui existe depuis 43 ans… ce n’est pas évident, mais j’ai l’intention d’utiliser la technologie au maximum », dit Nadim. Il souligne aussi la valeur du personnel administratif pour se familiariser avec un nouveau cabinet et ses dossiers : « Je peux dire sans équivoque que selon mon expérience, rien ne peut remplacer un personnel juridique expérimenté, qui s’y connaît. »

Nadim prévient qu’il est important de faire des recherches sur le cabinet, ses clients et sa collectivité avant de l’acquérir : « Si un bureau s’appuie sur deux ou trois gros clients qui permettent de garder les lumières allumées, il n’y a aucune garantie qu’ils resteront avec ˮle nouveauˮ. Posez des questions sur les clients importants et sur ce que votre prédécesseur est prêt à faire pour vous aider à les garder. » Il suggère également que « quiconque achète un cabinet doit enquêter sur le bureau, sa réputation ainsi que la collectivité dans laquelle il est situé » pour s’assurer que cette communauté en est une dans laquelle vous vous sentirez à l’aise.

Malgré les défis à relever, il dit que « me jeter à l’eau a été la meilleure décision que j’ai prise. C’est une véritable passion pour moi d’encourager les jeunes avocats à explorer les occasions hors des grands centres, car non seulement ces collectivités ont-elles souvent grand besoin de services juridiques, mais elles offrent à un jeune avocat un grand potentiel d’avoir un impact majeur et une belle vie. »

Il est important, dans votre vérification préalable, de tenir compte de votre degré d’aisance avec le travail, le personnel et la collectivité, mais cette vérification doit aussi comprendre un autre aspect. Il se peut que vous ayez à embaucher votre propre (surprise!) avocat et des comptables pour réaliser la vérification préalable afin de vous assurer d’obtenir ce que vous croyez acquérir. Il est probable que vous devrez assumer un bail, prendre la responsabilité d’employés et adopter un certain nombre de systèmes et d’obligations dont vous aurez besoin pour exploiter l’entreprise. Le bon côté, c’est que vous n’avez pas à tout faire cela seul, mais le prix de l’acquisition pourrait être une dette que vous traînerez pendant un moment. Vous pourriez aussi hériter d’autres engagements.

Dans l’alternative, si vous avez une recommandation ou une clientèle potentielle, la capacité de survivre au moins quelques mois sans revenu et une vision, il se peut qu’il soit avantageux de démarrer votre propre bureau. Le marketing, les ventes et l’administration formeront une bien plus grande part de votre travail si vous ouvrez votre propre cabinet, et le démarrage exigera du temps. Les coûts initiaux seront substantiellement moindres. Vous devrez toutefois trouver des mentors et des employés, et augmenter vos capacités au rythme de votre croissance.

Il vaut mieux explorer les deux options avant de vous lancer. Pour certains, le prix d’acquisition d’un cabinet juridique existant sera un facteur d’exclusion prohibitif, qui scellera la décision.

5) Flux de trésorerie

Démarrer un cabinet juridique vous coûtera de l’argent. Si vous partez d’un autre poste, vous avez probablement des fonds accumulés à cette fin. Sinon vous devrez peut-être emprunter. De toute manière, assurez-vous d’avoir des capitaux liquides adéquats pour couvrir vos dépenses. Vous ne voulez pas manquer une occasion ou découvrir que vous manquez de ressources au moment où vous commencez à convertir vos clients potentiels en contrats signés. Le flux de trésorerie est l’élément vital de toute entreprise.

6) Structure

La structure de votre entreprise en est la fondation. N’importe quel architecte, travailleur de la construction ou élève de maternelle qui aime les briques LEGO vous le dira : une fondation solide vous permettra de bâtir aussi haut que vous le souhaitez sans risque d’écroulement. La question est donc de déterminer ce qui vous convient le mieux : la propriété exclusive, le partenariat, l’association ou l’incorporation professionnelle. Il est important de consulter quelqu’un qui connaît ces options et pourra expliquer laquelle est la meilleure pour vous. Chaque structure comporte ses propres utilités, avantages, coûts et conséquences. Certaines peuvent être jumelées à d’autres (comme un partenariat entre des sociétés professionnelles). C’est là qu’intervient votre équipe de conseillers, pour vous aider à démarrer correctement. La bonne nouvelle, c’est qu’une fois ce démarrage bien fait, vous n’aurez généralement plus à réfléchir à ces questions.

Prendre votre envol

Certains comparent le démarrage d’un cabinet après avoir occupé un poste d’employé ou avoir fini un stage à sauter d’un avion. Je préfère voir la chose comme sauter dans un avion : vous vous lancez à l’aventure, et vous avez le contrôle sur les résultats. Si le risque semble menaçant et le processus accablant, rappelez-vous que vous n’êtes pas le premier à entreprendre ce voyage. Les conseils et stratégies ci-dessus sont une bonne façon de bien commencer votre voyage pour arriver à la destination de votre choix, sans finir par chercher vos bagages perdus.

A propos de l'auteur

Aaron Grinhaus (grinhauslaw.ca) est un avocat en droit commercial, fiscal et successoral, qui conseille régulièrement des avocats et d’autres professionnels qui se lancent en pratique privée. Visitez GrinhausLaw.ca/Freedom pour en apprendre davantage au sujet de son cabinet et de ses services-conseils.

 

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