Le système des droits de la personne : un succès mitigé

  • 01 avril 2014
  • Andrew Pinto

En août 2011, Andrew Pinto a été nommé par le procureur général de l’Ontario pour procéder à un examen indépendant des modifi cations législatives qui ont été apportées au système des droits de la personne en Ontario en 2008.

Le système des droits de la personne de l’Ontario a subi des changements majeurs en juin 2008 à la suite de la Loi de 2006 modifi ant le Code des droits de la personne. Plus particulièrement, les requêtes en vertu des droits de la personne (autrefois appelées plaintes) seraient déposées directement auprès du Tribunal des droits de la personne de l’Ontario, plutôt que de la Commission ontarienne des droits de la personne. La Commission ne serait plus chargée de recevoir, de traiter, d’arbitrer et d’étudier des plaintes individuelles et, lorsqu’elle le jugeait approprié, de les transmettre au Tribunal. Le rôle de la Commission a été révisé afi n de se concentrer sur l’élaboration de politiques, l’information et l’éducation et l’encouragement de la conformité au Code. Toutefois, la Commission a conservé son pouvoir d’amorcer des requêtes auprès du Tribunal et d’intervenir dans ces cas. Enfi n, un nouvel organisme, le Centre d’assistance juridique en matière de droits de la personne, a été constitué pour conseiller et représenter les individus qui peuvent présenter des requêtes au Tribunal.

Le Code des droits de la personne révisé stipulait qu’au bout de trois ans après l’entrée en vigueur du nouveau système, une personne serait nommée pour examiner la mise en oeuvre et l’effi cacité des changements apportés au système des droits de la personne de l’Ontario. J’ai le privilège d’être chargé de cette tâche. Je devais examiner les activités du Tribunal, de la Commission et du Centre, que l’on appelle les trois « piliers » des droits de la personne, afi n de déterminer s’ils accomplissaient leurs mandats. Pour terminer, je devais formuler des recommandations dans le but d’améliorer l’effi cacité du système des droits de la personne de l’Ontario. J’ai organisé des assemblées publiques dans six villes de la province, j’ai reçu plus de 60 observations écrites et j’ai tenu 25 rencontres avec des intervenants, qui étaient des individus et des groupes variés. Mon Rapport d’examen du système des droits de la personne de l’Ontario, remis au procureur général en novembre 2012, est disponible à l’adresse www.ontariohumanrightsreview.org.

Dans l’ensemble, j’ai conclu que le système des droits de la personne de l’Ontario fonctionnait mieux que sous l’ancien Code à bien des égards. Toutefois, les réformes ne représentent qu’un succès mitigé, car le système révisé conserve un certain nombre de défi s.

L’ABO a joué un rôle important dans l’examen grâce aux observations écrites qu’elle a fournies à titre d’intervenant clé. Les observations de l’ABO étaient divisées selon les sections d’exercice, y compris Relations de travail, Droit constitutionnel, libertés civiles et droits de la personne, Analyse juridique féministe, Droit administratif, Avocats du secteur public, ainsi que la Division des jeunes avocat(e)s et le Comité en matière d’égalité et d’accessibilité.

Les observations de l’ABO concluaient que les changements apportés en 2008 avaient amélioré la confi ance du public dans le système des droits de la personne, car les requêtes des parties étaient traitées de manière plus effi cace et plus transparente. Toutefois, l’ABO a indiqué que le système avait encore beaucoup de chemin a faire pour devenir effi cace et accessible pour les parties sans représentation. Parmi les suggestions spécifi ques faites à cet égard, on peut citer une augmentation du fi nancement et des ressources du Centre; l’augmentation du rôle de la Commission pour lui permettre d’intervenir et d’examiner des requêtes individuelles; et l’augmentation du nombre d’occasions de représentation pour les groupes à faible revenu, non représentés et visant l’équité, par l’entremise du système de cliniques d’aide juridique. L’ABO a également recommandé que le Tribunal bénéfi cie du pouvoir d’imposer des coûts afi n de dissuader les comportements inappropriés et d’augmenter les dommages compensatoires ordonnés par le Tribunal. Pour terminer, l’ABO a recommandé de préciser le rôle des arbitres du Tribunal lors des audiences tenues par celui-ci.

Mon rapport fi nal présentait 34 recommandations adressées au Tribunal, à la Commission, au Centre et aux questions d’ordre systémique. Le rapport identif i ait des pratiques exemplaires qui abordaient plusieurs domaines de préoccupation et qui visaient à améliorer l’effi cacité et l’accessibilité du système. J’ai souligné quelques-unes de ces recommandations ci-dessous.

Pendant le processus de consultation, j’ai entendu régulièrement dire que les formulaires du Tribunal étaient trop complexes et présentaient un obstacle, notamment, aux individus se représentant seuls ou aux individus handicapés. J’ai recommandé que le Tribunal simplifi e ses formulaires pour augmenter l’accessibilité. J’ai également recommandé que le Tribunal consacre plus de ressources afi n de procéder à des médiations plus tôt dans le processus de requête, afi n de favoriser le règlement rapide des litiges, recommandation également faite par l’ABO.

J’ai également recommandé d’augmenter le fi nancement dont bénéfi cie le Centre, afi n qu’il puisse étendre ses travaux d’assistance aux requérants. Le Centre ne représente que 12 % des requérants devant le Tribunal. Bien qu’environ 65 % des requérants se représentent eux-mêmes devant le Tribunal, 85 % des intimés sont représentés par un avocat. Le Centre doit bénéfi cier d’un fi nancement supplémentaire pour réduire cet écart. J’ai recommandé que la Commission joue un rôle plus actif afi n d’intervenir dans des requêtes individuelles dans l’intérêt public et qu’elle fournisse des conseils sommaires aux intimés afi n de favoriser le respect des droits de la personne. En ce qui concerne les questions controversées relatives aux coûts, j’ai décrit les diff érentes considérations politiques contradictoires, mais j’estime que les données empiriques ne suffi saient pas à trancher la question. Pour cette raison, j’ai recommandé que le ministère du Procureur général eff ectue une étude sur les mérites d’un régime de dépens pour le Tribunal et en faire rapport au public dans 18 mois. J’ai également recommandé que le Tribunal réévalue son approche actuelle des dommages- intérêts généraux et augmente la plage pécuniaire de ces décisions dans les cas où la discrimination est prouvée. Les dommages- intérêts relativement peu élevés accordés par le Tribunal par rapport aux tribunaux civils risquent de miner la crédibilité du système des droits de la personne.

Dans mon rapport, j’ai indiqué que le système des droits de la personne semblait s’adresser à quelques-uns seulement, mais qu’il s’adresse en fait à tout le monde. Au cours des quatre dernières années, une grande partie du travail de confi guration diffi cile a été eff ectué pour rendre opérationnel le système envisagé par le Code révisé. Chaque Ontarien et chaque Ontarienne dépensent 1,57 $ par année pour le système des droits de la personne. Pendant une période économique diffi cile, les individus et les groupes qui sont les plus susceptibles d’être victimes de discrimination sont ceux-là mêmes qui sont les plus vulnérables à une économie fragile. Si les mécanismes de conformité sur lesquels ils comptent pour obtenir un emploi, un logement et des services équitables ne fonctionnent pas au moment où ils en ont le plus besoin, cela constituerait une cruelle ironie.

J’ai rencontré le procureur général John Gerretson l’an dernier et je lui ai présenté mes conclusions et mes recommandations. Le ministre Gerretson, dont le mandat de procureur général au sein du Cabinet a été renouvelé, était désireux d’entendre mes idées. Les diff érents organismes des droits de la personne étudient mon rapport, et je suis certain que le procureur général et ces organismes donneront au moins une réponse préliminaire sous peu. Toutefois, l’intérêt du public, l’attention des médias et la défense des droits constituent des facteurs importants qui peuvent infl uencer le gouvernement. Pour cette raison, en tant qu’intervenant important et infl uent, l’ABO doit maintenir son engagement et sa participation pour que le rapport, ses recommandations et le système des droits de la personne restent prioritaires pour le gouvernement.


Andrew PintoA propos de l'auteur

Andrew Pinto est associé de Pinto Wray James LLP, où il pratique le droit relatif aux droits de la personne et le droit des relations de travail.