After logging into the platform as a guest (which can be done without sharing personal information or a digital wallet), the author-avatar peers through the window of a virtual law office in Decentraland.

Pratiquer dans le métavers : occasions commerciales ; risques liés à la cybercriminalité et à la protection de la vie privée

  • 13 juin 2022
  • Brent J. Arnold

De nombreux avocats ont été surpris, déconcertés ou amusés par la nouvelle récente selon laquelle un cabinet du New Jersey avait ouvert le premier cabinet spécialisé en dommages corporels dans le métavers (le monde virtuel existant parallèlement à notre réalité physique, dans lequel les gens explorent, jouent et s’engagent dans des activités commerciales en tant qu’avatars numériques). Cette réaction était probablement prévisible ; les cabinets d’avocats sont notoirement lents à s’adapter aux nouveaux modèles commerciaux ou même à adopter des technologies permettant d’améliorer la productivité. Mais certains avocats réfléchissent depuis un certain temps déjà à ce que ce monde signifie pour la profession. Maintenant que certains s’installent dans Decentraland et d’autres plateformes similaires, il sera possible pour les clients de rencontrer des avocats, entre avatars, dans des simulations 3D de cabinets d’avocats, qui auront probablement des œuvres d’art coûteuses en jetons non fongibles accrochées aux murs virtuels.

Le métavers n’offre pas seulement de nouveaux « lieux » virtuels pour exercer, il soulève également des questions juridiques qui devraient occuper les avocats et les tribunaux pendant un certain temps. Vous pouvez acheter, dans le métavers, des biens virtuels (réels et personnels) qui n’existent que dans le métavers. Pouvez-vous donc intenter un procès si vos biens sont endommagés ou vandalisés ? Quels sont vos droits si vous achetez un produit dans la vie réelle en vous basant sur de fausses représentations du produit dans le métavers (par exemple, s’il était plus beau dans le « magasin » virtuel en 3D où vous l’avez cherché) ? YouTube regorge de vidéos de personnes ayant eu des accidents alors qu’elles portaient un casque de réalité virtuelle ; le fabricant du casque est-il responsable, si vous trébuchez et vous blessez, parce que vous avez vu le monde virtuel au lieu de l’escalier bien réel devant vous ? Que se passe-t-il si quelqu’un dans le monde virtuel utilise votre marque réelle pour vendre ses produits virtuels dans le métavers ? Quel tribunal est compétent pour ces litiges, et quel est le droit applicable ?

La perspective d’exercer dans le métavers est assombrie par les problèmes de cybersécurité et de protection de la vie privée qui accompagnent toute interaction médiatisée par ordinateur. Dans quelle mesure ma conversation avec un client, dans mon bureau du métavers, est-elle protégée contre l’interception et la fuite ? Tous les clients fournissent des informations personnelles aux avocats, ne serait-ce qu’au cours de l’établissement d’un mandat de représentation ; certains clients fournissent une propriété intellectuelle précieuse, mais pas encore brevetée. Il n’est pas difficile d’imaginer que mon bureau du métavers puisse attirer des pirates cherchant à extorquer des rançons, ou à faire de l’espionnage industriel contre mes clients.

En tant que simple utilisateur de la plateforme (même si j’ai acheté l’immobilier numérique où se trouve mon bureau virtuel), le seul contrôle que j’ai sur la sécurité des données de mes clients dans le métavers est de m’assurer que je n’en discute pas et que je n’en reçois pas dans le métavers. C’est pourquoi les avocats qui sont déjà actifs sur ces plateformes n’y exercent pas en tant que tels. Leurs bureaux virtuels leur permettent de faire de la publicité pour leurs services et d’entrer en contact avec des clients potentiels, mais à partir de là, l’accueil des clients et les conseils proprement dits sont rapidement redirigés vers des bureaux physiques ou des outils de communication cryptés et privés (par exemple, les plateformes de clavardage ou de visioconférence que les avocats ont pris l’habitude d’utiliser lors du déploiement du télétravail durant la pandémie).

En aval, il semble probable qu’au fur et à mesure que les entreprises se lancent dans le métavers et cherchent à l’utiliser pour plus que de la publicité, la technologie évoluera pour répondre aux préoccupations en matière de sécurité et de confidentialité. Rappelez-vous la rapidité avec laquelle les plateformes de vidéoconférence ont adopté le cryptage de bout en bout lorsqu’elles sont devenues plus cruciales dans les premiers mois de la pandémie. Même la question de la souveraineté des données devrait pouvoir être surmontée, soit par l’harmonisation des lois internationales sur la protection de la vie privée, soit par l’offre d’options d’hébergement locales.

Mais pour l’instant, que peut réellement faire un avocat, en toute sécurité, dans un bureau du métavers ? Jusqu’à ce que des dispositifs de sécurité et de confidentialité soient mis en place pour protéger le secret professionnel, son utilisation la plus sûre est de permettre aux avocats d’établir une présence de marketing dans un espace où les clients sont (ou seront) déjà présents. Imaginez une publicité Facebook dans laquelle votre public cible pourrait se promener, où il verrait votre marque, lirait des informations sur le cabinet et pourrait même poser des questions à son sujet. Votre bureau du métavers peut également servir d’espace événementiel virtuel, dans lequel les clients viennent rencontrer vos avocats ou assister à des versions plus immersives du contenu que les cabinets diffusent actuellement sous forme de webinaires. Il n’y a aucune raison pour que les tribunaux ne puissent pas passer de l’audition d’affaires par visioconférence à la tenue d’audiences publiques dans des recréations 3D de tribunaux, avec tous les symboles, costumes et apparats que nous avons perdus en passant des tribunaux physiques au Web. Comme ces procédures sont de toute façon publiques, les questions de sécurité (à l’exception peut-être de l’équivalent en avatars du « zoombombing ») sont moins préoccupantes que pour la fourniture de conseils privilégiés dans un espace virtuel public.

La pratique juridique virtuelle mise à part, le simple fait de se montrer dans le métavers soulève des préoccupations qui vont au cœur des lois actuelles et en évolution sur la vie privée. Aujourd’hui, pour visiter un cabinet d’avocats virtuel dans Decentraland, il me suffit d’inventer un nom d’utilisateur, de créer un avatar (qui peut me ressembler ou ne pas me ressembler, si je préfère) et de fournir une adresse électronique. Je pourrais être n’importe qui, et tout ce que la plateforme sait vraiment de moi est l’adresse électronique que j’ai donnée (que j’ai peut-être inventée, car il n’y a aucune barrière d’authentification de l’identité qui m’empêche de me promener dans ce monde virtuel).

À ce niveau d’engagement, je suis comme un rôdeur sur Twitter, sans biographie ni photo. Mais si je veux personnaliser mon expérience, faire du commerce ou vivre une expérience plus riche et plus immersive, je devrai, comme sur les médias sociaux, fournir beaucoup plus de données personnelles (par exemple, sur mes préférences, mes réactions et mes interactions dans le monde virtuel, éventuellement des données biométriques à mesure que la technologie de l’interface devient plus sophistiquée, et certainement les informations de mon portefeuille de cryptomonnaie si je veux acheter des biens et des services). Que se passera-t-il si je veux accéder à mes données personnelles, ou si je souhaite que mes données soient oubliées ? La plateforme sera-t-elle en mesure de déplacer mes données stockées d’une juridiction à l’autre sans mon consentement, et si elle le fait, quelle garantie aurai-je qu’elles sont protégées ?

Comme c’est le cas pour toutes les avancées technologiques, le métavers est arrivé avant que le cadre juridique pour le gérer n’ait été élaboré. Il sera fascinant de voir comment les législateurs, les régulateurs et les tribunaux s’attaqueront aux problèmes juridiques que le métavers soulève déjà.

Image : Après s’être connecté à la plateforme en tant qu’invité (ce qui peut être fait sans partager d’informations personnelles ou de portefeuille numérique), l’auteur-avatar regarde par la fenêtre d’un cabinet d’avocats virtuel dans Decentraland.

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Cet article a d’abord été publié sur la page des articles de la section Droit de la vie privée de l’ABO.