Le dédommagement d’Omar Khadr était-il juste et raisonnable?

  • 08 décembre 2017
  • R. Lee Akazaki

Le 7 juillet 2017, la ministre de la Justice, Jody Wilson-Raybould, et le ministre de la Sécurité publique, Ralph Goodale, ont confirmé un dédommagement de 10,5 millions de dollars pour l’ancien prisonnier de Guantanamo Bay Omar Khadr. Ils ont également offert des excuses officielles à Khadr pour le rôle joué par des agents canadiens dans ses mauvais traitements pendant son incarcération dans la prison militaire américaine.

Cette annonce a mis fin à une décennie de poursuites judiciaires, incluant notamment deux décisions de la Cour suprême du Canada déclarant que le Canada avait violé les droits de Khadr en vertu de la Charte, mais refusant de dicter comment le gouvernement Harper devait répondre à sa demande de rapatriement au Canada.

Les événements ayant suivi la capture de cet enfant-soldat en Afghanistan avaient divisé l’opinion publique canadienne depuis la guerre menée par les États-Unis dans ce pays de l’Asie centrale contre le groupe terroriste Al-Qaeda et ses protecteurs gouvernementaux, les Talibans. Certains voyaient Khadr, capturé en combat contre les forces américaines dans une « guerre contre la terreur » impliquant des forces canadiennes, comme un traitre. D’autres ont vu le refus du Canada de demander son retour au pays comme une posture motivée politiquement et jouant sur le sentiment anti-islam et anti-immigration. D’autres encore, surtout dans la communauté juridique, étaient déchirés entre le mandat de sécurité publique du gouvernement et le traitement d’un citoyen canadien mineur par un pays allié. Mais le montant du dédommagement était-il justifié?

Le 29 novembre 2017, la Fondation de l’ABO a organisé son deuxième débat annuel pour aller au-delà de la rhétorique politique. James Morton, ancien président de l’ABO, a défendu l’opinion que le dédommagement était « juste et raisonnable ». Rachel Curran, associée principale de Harper & Associates Consulting, commentatrice télévisuelle et directrice politique de l’ancien premier ministre Stephen Harper, a défendu la position adverse. Jennifer Hollett, responsable des actualités et du gouvernement chez Twitter Canada, a fait office de modératrice. Steven Rosenhek, président de la Fondation de l’ABO, a dit que ce débat était important, car « le public veut savoir s’il était nécessaire de payer quoi que ce soit, sans parler de millions de dollars. »

Pour

Me Morton a lancé le débat en deux phrases : « Les actions ont un sens. La panique morale est un fait avéré. » Il a offert une justification morale pour le dédommagement, à cause de la complicité des agents canadiens dans l’emprisonnement militaire américain d’un soldat qui, à cause de son jeune âge, n’avait pas non plus de responsabilité légale. L’emprisonnement de Khadr a compris diverses formes de torture conçues pour ne pas infliger de cicatrices physiques. Le dédommagement était symbolique parce que, comme pays, « Nous ne devons pas perdre notre sens moral la prochaine fois. »

L’argument légal de Me Morton était que la Cour suprême avait déjà conclu que les droits de Khadr en vertu de la Charte avaient été enfreints, et que des dommages-intérêts étaient disponibles nonobstant les recours en droit privé. L’analogie la plus proche concerne le dédommagement pour les personnes condamnées et emprisonnées injustement, et le montant du dédommagement était dans la même gamme. Néanmoins, pour en revenir à l’argument moral, « Le chiffre n’a pas d’importance. Ce qui compte, c’est le principe d’un dédommagement matériel et important. »

Contre

Me Curran a restreint la question en acceptant, comme la Cour suprême l’a conclu, qu’une violation de la Charte avait eu lieu. Toutefois, en l’absence de recours de droit privé, une telle violation ne peut justifier un octroi de 10,5 millions de dollars. Selon elle, le dédommagement était un choix politique, et non pas justifié par un impératif légal. La Cour suprême a seulement statué sur la violation de la Charte aux fins d’une demande de rapatriement de Khadr, pour qu’il purge le reste de sa peine américaine au Canada. À l’origine, les dommages-intérêts demandés en vertu de la Charte n’étaient que de 100 000 $. Lorsque les agents canadiens ont fait rapport au gouvernement sur la condition de Khadr, ils n’ont pas trouvé qu’il montrait des signes de mauvais traitements sévères et il leur semblait être en bonne santé. Ils savaient que ses geôliers américains avaient utilisé des techniques de privation du sommeil, mais ce comportement était sans lien avec toute implication canadienne.

Ce n’est que lorsque les avocats de Khadr ont ajouté des plaidoyers de conspiration civile et de méfaits publics que la demande a augmenté à 20 millions de dollars, a avancé Me Curran. Il était difficile de gagner ces requêtes en l’absence de preuve d’intention de lui causer du tort, et encore plus en l’absence des États-Unis comme co-conspirateur allégué. Selon son analyse juridique, le principe du dédommagement justifiait tout au plus un octroi d’environ 100 000 $, et il n’aurait pas coûté si cher de faire passer le litige par les tribunaux pour connaître leur avis sur les dommages-intérêts. Lorsque le premier ministre Justin Trudeau a annoncé que la requête aurait pu valoir 40 millions de dollars, selon Me Curran, « Soit il avait obtenu de mauvais conseils juridiques, soit il y a des éléments additionnels à cette histoire, dont nous ne sommes pas au courant. »

Questions

Le débat s’est conclu par des questions de l’auditoire. Si aucun des deux côtés ne l’a clairement emporté, Me Morton et Me Curran, en répondant aux questions, se sont dit d’accord que l’indignation qu’ont ressentie de nombreux Canadiens aurait pu être mitigée par de meilleures relations de presse. Tout en reconnaissant que de tels règlements impliquent la confidentialité du processus de négociation, le gouvernement aurait dû être en mesure de fournir une justification plus claire et détaillée pour son dédommagement. Si cela s’était produit, le dédommagement aurait pu réconcilier des Canadiens de différents points de vue au lieu de leur permettre de se retrancher dans leurs vieux camps. Pendant un après-midi, à tout le moins, Me Morton et Me Curran nous ont mis au défi de nous réunir afin de trouver un terrain d’entente.

Le débat sera bientôt mis en ligne sur la page de la Fondation de l’ABO afin de servir de ressource pour les débats et l’éducation publics.

Le deuxième débat annuel de la Fondation de l’ABO poursuivait l’objectif du premier débat annuel, « Une nouvelle approche pour les instances d’agressions sexuelles », soit de fournir de l’éducation juridique sur les questions contemporaines importantes. La Fondation de l’ABO fait la promotion de l’éducation juridique et de la recherche innovatrice dans le but d’améliorer le système de justice. La Fondation est un organisme caritatif inscrit, qui peut délivrer des reçus fiscaux en vertu de son inscription auprès de l’ARC (0779728-21). D’autres initiatives de la Fondation comprennent les bourses de la juge en chef de l’Ontario accordées par la Fondation de l’ABO pour la recherche en éthique et professionnalisme, les prix de la Fondation de l’ABO, le prix Hoffstein Book Award, le Prix Widdifield, le Prix Wolfe Goodman, le concours de dissertation sur les Autochtones, l’environnement ou les ressources naturelles du Canada de la Fondation de l’ABO, et la vidéothèque Justice Video Library. La Fondation accueille les propositions de financement pour des projets de valeur qui correspondent à son mandat. Pour plus de renseignements, visitez le www.oba.org/OBAFoundation.

 

À propos de l’auteure

Lee AkazakiR. Lee Akazaki, administrateur de la Fondation de l’ABO. Gilbertson Davis LLP.

 

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