Guide pratique des dépens dans les cas de plaideurs non représentés

  • 18 décembre 2016
  • Rachel Migicovsky

En 2013, la Dre Julie Macfarlane de la faculté de droit de l’Université de Windsor a publié une étude sur l’expérience des plaideurs non représentés en Ontario, en Alberta et en Colombie-Britannique[1]. La Dre Macfarlane a conclu qu’en Ontario, 64 % des plaideurs en droit de la famille se représentaient eux-mêmes. En 2009, une étude a conclu que les plaideurs non représentés dans les poursuites civiles surpassaient en nombre les plaideurs représentés par un facteur de 1,6[2]. La Dre Macfarlane fait remarquer que cet écart a certainement augmenté depuis ce temps. Dans son échantillon, 53 % des plaideurs non représentés avaient commencé leur instance avec un avocat, mais n’avaient pas eu les moyens de continuer. Seulement environ 10 % de l’échantillon a exprimé avoir confiance en son aptitude à se représenter soi-même dès le début de l’instance.

Les plaideurs non représentés constituent maintenant des acteurs importants de notre système judiciaire. Peu importe vos années d’expérience, comme membre du Barreau, vous en croiserez sur votre route.

Les plaideurs non représentés ne sont pas familiers avec les Règles. Ils font de nombreuses demandes de documents, demandent des ajournements et déposent des documents volumineux, ce qui peut être coûteux. Les plaideurs non représentés constituent maintenant des acteurs importants de notre système judiciaire. Peu importe vos années d’expérience, comme membre du Barreau, vous en croiserez sur votre route. :

  • Qui est le plaideur non représenté ?
  • Quel est l’objectif des dépens dans ce cas particulier ?
  • La somme et la probabilité de récupération en cas de succès.
  • La somme récupérable par une partie non représentée gagnante.

Qui est le plaideur non représenté ?

Les tribunaux voient les plaideurs non représentés non pas comme un vaste groupe amorphe, mais comme des parties individuelles ayant des intérêts et des besoins précis. Ainsi, vous devriez évaluer les plaideurs non représentés comme vous le feriez pour n’importe quelle autre partie : sur la base de leurs actions et sur le bien-fondé de leur cause. Ne les sous-estimez pas. Dans Crowe c. The Manulife Financial Corporation[3], le Juge Brown a écrit que dans les cas impliquant des plaideurs non représentés :

[Traduction] la détermination des dépens dans de telles circonstances sera un processus individuel, mettant l’accent sur les caractéristiques et la conduite du plaideur non représenté et non mesuré selon une quelconque notion abstraite concernant le « plaideur non représenté typique »[4].

Principes directeurs : l’objet de l’attribution des dépens

Pour déterminer les dépens, le tribunal doit tenir compte des attentes justes et raisonnables quant à ce que la partie perdante devrait avoir à payer plutôt que des frais réels encourus par la partie gagnante[5]. Cela signifie que, peu importe le résultat, le tribunal tiendra compte de votre taux horaire comme ligne directrice au moment de considérer les dépens octroyés, que ce soit les vôtres ou ceux de la partie qui se représente elle-même[6]. Par exemple, dans Jahn-Cartwright, le plaideur non représenté a eu gain de cause et les dépens lui ont été accordés en appliquant un taux horaire de 200,00 $. Ce taux représentait approximativement deux tiers de ce à quoi l’avocat de l’autre partie aurait eu droit sur la base d’une indemnisation partielle[7].

La détermination des dépens est un art, pas une science. Le tribunal peut tenir compte d’autres facteurs, notamment le caractère raisonnable et la courtoisie des parties, la qualité des documents, le temps consacré à la préparation, la proportionnalité et l’accès à la justice. À cette fin, vous devriez considérer les trois objets suivants pour les dépens, tels qu’énumérés par la Cour d’appel de l’Ontario comme principes gouvernant les cas impliquant un plaideur non représenté :

1.    Indemniser les plaideurs qui ont gain de cause pour les coûts associés au litige;

2.    Favoriser le règlement;

3.    Décourager et sanctionner le comportement non approprié des plaideurs[8].

Considérez la possibilité de faire une offre

Les offres de règlement peuvent placer votre client dans une meilleure posture lors de l’instance, même si votre opposant n’est pas représenté. Dans Awad c. Dover Investments Limited[9] le juge McEwen a accordé des dépens en indemnisation partielle aux répondants à la suite d’une instance de quatre semaines, en s’appuyant sur leur offre de règlement avec le plaideur non représenté, même s’il a conclu que ces dépens ne battaient pas leur offre. Il a déterminé que les répondants avaient « [traduction] créé le potentiel d’un règlement » relativement à certaines questions et que le demandeur n’avait pas répondu.

Souvenez-vous également que la Règle 3.2-4 du Code de déontologie énonce que : « L’avocat encourage un client à accepter un compromis ou à régler un conflit à l’amiable s’il est raisonnablement possible de le faire[10]. » Cette directive s’applique, que l’opposant soit ou non représenté. Si votre client a la possibilité de régler à l’amiable avec un plaideur non représenté, vous devriez l’encourager à faire un effort en ce sens.

Vous avez gagné ?! Comment obtenir l’octroi des dépens contre un plaideur non représenté

Vous avez eu une longue requête ou une longue instance contre un plaideur non représenté. Vous avez dû vous présenter au tribunal chargé d’établir le rôle d’audience, car il l’a demandé à cause de la difficulté de jumeler son emploi à temps plein et un litige à temps plein. Vous avez eu de la difficulté à lui signifier des documents ou à le joindre par téléphone ou courriel. Il a obtenu plusieurs ajournements de l’audience finale. Tous ces facteurs ont augmenté les frais pour votre client (y compris des dépenses copieuses pour documenter tout cela) et vous ont causé, dans certains cas, toute une consternation. Maintenant que vous avez eu gain de cause, vous espérez récupérer une partie de ces montants pour votre client.

Comment faire ?

D’abord, mettez l’accent sur les facteurs énoncés dans la Règle 57 et assurez-vous que vos documents soient succincts et complets. Dans Crowe, le juge Brown a écrit que les tribunaux doivent tenir compte en particulier des attentes raisonnables de la partie perdante, de la conduite de la partie et des mesures non appropriées, vexatoires ou non nécessaires, le cas échéant, dans les cas où intervient un plaideur non représenté[11]. Assurez-vous d’énumérer au juge qui reçoit vos arguments pour les dépens la kyrielle de mesures que votre client a dû prendre pendant le litige. Tant dans vos arguments écrits qu’oraux, si ceux-ci sont requis, assurez-vous d’énoncer (avec une chronologie, par exemple) des faits pour appuyer vos demandes de dépens, mais avec équité et en reconnaissant que vous participez à l’augmentation des frais.

Dans Crowe, le plaideur non représenté avait manqué de satisfaire l’attribution des dépens à son encontre dans huit procédures reliées sur une période de six ans. Le plaideur non représenté a échoué à résister à une requête coûteuse de plusieurs parties. Le juge a reconnu que les parties gagnantes devaient se voir attribuer des dépens. Il a toutefois décidé que les documents de l’une des parties étaient si mal organisés qu’il ne pouvait fixer une somme raisonnable et a envoyé ces dépens en évaluation. Il a accordé une indemnisation substantielle à une autre partie, qui l’avait encourue à la suite de trois présences non nécessaires au tribunal. Le juge Brown a fait remarquer que le plaideur non représenté s’était très bien familiarisé avec les procédures de la cour et s’en servait à sa guise pour servir ses intérêts, sans égard à son obligation de se conduire avec civilité. À cet égard, n’oubliez pas qui est votre opposant lorsque vous présentez vos arguments pour les dépens : si votre plaideur non représenté est averti ou qu’il possède une expérience importante du système judiciaire, soulignez ce fait pour le juge.

Vous avez perdu (hein ?!) : et maintenant ?

Cela peut sembler contre-intuitif, mais en Ontario, les plaideurs non représentés ont droit aux dépens à la discrétion du tribunal[12]. Les plaideurs non représentés n’ont pas, cependant, droit aux dépens selon la même base de calcul que les parties représentées. Les plaideurs non représentés doivent être en mesure de démontrer qu’ils ont mis du temps et des efforts pour réaliser le travail typiquement fait par un avocat et qu’ils en ont donc subi un coût d’opportunité. S’ils peuvent prouver ce coût d’opportunité, ils ne devraient recevoir qu’une somme modérée ou raisonnable pour ce temps perdu.[13]

Qu’est-ce que cela signifie pour vous ? Fournissez des arguments pour les dépens même si vous perdez. Ne vous asseyez pas sur vos lauriers : le tribunal n’hésitera pas à accorder des dépens contre votre client. Soulignez les aspects du litige pour lesquels les efforts raisonnables qu’a faits votre client pour régler à l’amiable ou régler des questions ont échoué. Signalez les déficiences des arguments du plaideur non représenté pour obtenir des dépens, le cas échéant, selon son identité et non en vous appuyant sur une notion vague de « plaideurs non représentés ». Faites preuve de professionnalisme et de courtoisie, et assurez-vous d’énoncer les facteurs qui contribueront à réduire les dépens alloués contre votre client.

Les dépens seront-ils collectés ?

Cela va sans dire : un plaideur non représenté qui ne peut payer les services d’un avocat a peu de chances de pouvoir payer des dépens importants, et il est probable qu’il soit impossible de collecter ces fonds. Si vous représentez un client qui poursuit un plaideur non représenté, c’est une discussion cruciale à avoir dès le départ. Si vous représentez un défendeur qui gagne contre un plaideur non représenté, vous devriez discuter du temps et des efforts que votre client veut que vous consacriez à la poursuite du plaideur pour obtenir son paiement.

Selon les circonstances, vous pouvez aussi déposer une motion visant à obtenir un cautionnement pour dépens, par exemple si le plaideur non représenté a déjà fait défaut de payer des dépens par le passé ou fait défaut de prendre des mesures procédurales ordonnées par le tribunal[14].

De plus, de nombreux juges ordonneront des dépens « dans la cause » (c.-à-d. seulement si vous gagnez l’instance) contre un plaideur non représenté. Les tribunaux sont réticents à accorder des dépens contre des plaideurs non représentés impécunieux, car ils veulent s’assurer que ceux-ci ne se font pas refuser l’accès à la justice simplement parce qu’ils ne peuvent pas payer des dépens. 

Au bout du compte, c’est une question de proportionnalité

Le nombre de plaideurs non représentés continue de croître dans le système. Si vous n’avez pas encore rencontré de plaideur non représenté, cela vous arrivera. Quand cela arrivera, les dépens ne doivent pas être oubliés : ils forment un problème auquel penser dès le départ. Le procureur général a adopté quelques mesures pour aider les plaideurs non représentés à gérer le litige, comme le dépôt en ligne dans certains territoires de la Cour des petites créances. Comme avocat chargé du dossier, toutefois, il vous revient de vous assurer (au meilleur de vos aptitudes) que le litige procède de façon efficace, sans déraillement. Assurez-vous d’agir en ayant un œil sur la proportionnalité : ne déposez pas de motions procédurales plus coûteuses que nécessaire, et n’insistez pas sur une conformité stricte aux Règles si celle-ci est onéreuse pour votre client comme pour le plaideur non représenté. Par exemple : il peut être approprié, dans les circonstances, d’accepter la signification tardive de documents si celle-ci ne cause pas de tort à votre position juridique. Il peut être logique d’accepter un mémoire de documents non assermentés plutôt qu’un affidavit de documents si vous pouvez en obtenir un plus tard et que vous ne vous inquiétez pas de l’authenticité des documents, plutôt que de déposer une motion pour obtenir l’assermentation. Documentez votre correspondance, mais n’utilisez pas de jargon juridique complexe si vous pouvez utiliser un langage ordinaire. Ces suggestions ne seront pas toujours appropriées. L’idée est de regarder l’ensemble des circonstances et de prendre une décision pragmatique et proportionnelle dans le cas qui vous occupe. Dans l’ensemble, assurez-vous que chaque geste posé a pour but de faire progresser le litige. Vous représenterez mieux votre client si vous ne cherchez pas la forme avant la substance... et vous aurez de meilleures chances d’obtenir gain de cause au tribunal.

À propos de l’auteure

Rachel Migicovsky est avocate plaidante chez Shibley Righton LLP. Sa pratique est axée sur la négligence professionnelle. Ayant fréquenté la faculté de droit d’Osgoode Hall de 2009 à 2012, elle est membre du Barreau depuis 2013. Rachel est membre de l’exécutif de la section Litige civil de l’Association du barreau de l’Ontario et du forum des avocates.

 


[1] J. McFarlane, The National Self-Represented Litigants Project: Identifying and Meeting the Needs of Self-Represented Litigants (Mai 2013 : Barreau du Haut-Canada) www.lsuc.on.ca/uploadedFiles/For_the_Public/About_the_Law_Society/Convocation_Decisions/2014/Self-represented_project.pdf.

[2] Ibid, citant L. Hartwell, « A Profile of the Self-Represented Litigant: Highlights of Some of the Relevant Research » (article présenté lors du symposium de l’ACCA à Winnipeg, le 19 avril 2001 [non publié].

[3] 2010 ONSC 3302 (CanLII) (« Crowe »).

[4] Ibid. au paragraphe 14.

[5] Boucher c. Public Accountants Council for the Province of Ontario, 2004 CanLII 14579 (ONCA) au paragraphe 26.

[6] Cindy Jahn-Cartwright c. John Cartwright, 2010 ONSC 2263 (CanLII) au paragraphe 69.

[7] Ibid., au paragraphe 74.

[8] Fong c. Chan, 1999 CanLII 2052 (ON CA) au paragraphe 22 (« Fong »).

[9] 2015 ONSC 1955 (CanLII).

[10] Code de déontologie (2016 : Barreau du Haut-Canada), http://www.lsuc.on.ca/list.aspx?id=671.

[11] Crowe, supra au paragraphe 15.

[12] Fong, supra aux paragraphes 22 à 24.

[13] Mustang Investigations c. Ironside, 2010 ONSC 3444 (CanLII) au paragraphe 23.

[14] Voir par exemple Liberty Mutual et al c. Donatelli et al, 2010 ONSC 6318 (CanLII).

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