four hands pointing at a man

Apprendre à naviguer dans le doute : passer à travers une première plainte et en tirer des leçons

  • 16 décembre 2016
  • Lionel Tupman

Je tiens à mettre tout de suite les choses au clair : au moment d’écrire ces lignes, je n’ai jamais fait l’objet d’une plainte déposée au Barreau du Haut-Canada. J’ai toutefois été menacé d’une façon absolument convaincante et, comme je le décris ci-dessous, ça a été une expérience terrifiante.

Finalement, je m’en suis bien sorti. J’ai survécu… malgré mes appréhensions et des nuits d’insomnie. J’ai cependant quelques conseils pour gérer la première (et potentiellement inévitable) plainte au Barreau du Haut-Canada, qui vous attend au détour de votre carrière, et même comment en voir le bon côté.

Mais d’abord, comment me suis-je senti, physiologiquement, d’être menacé de façon convaincante d’une plainte à mon endroit ?

Je savais à quoi m’attendre.

Si vous pratiquez le droit, il est probable que vous soyez une personne performante, méticuleuse, intelligente, avec une personnalité de type A, et vous avez l’habitude de réussir la plupart des choses que vous entreprenez. Vous détestez vous faire critiquer et quand ça arrive, vous faites tout ce que vous pouvez pour corriger immédiatement le défaut qui a été constaté dans votre comportement ou votre rendement.

Si quelqu’un dépose une plainte à votre égard auprès du Barreau du Haut-Canada, vous recevrez peu après une lettre du Barreau vous avisant qu’une plainte a été faite, décrivant les allégations et vous demandant de répondre dans un délai donné. À la réception de cette lettre, vous pouvez ressentir de la panique et du désespoir, car il est inhabituel dans votre vie de ne pas pouvoir contrôler l’organe externe de prise de décision qui va maintenant déterminer si vous avez commis une faute. C’est une expérience qui donne à réfléchir. Sur le plan physiologique, j’ai ressenti les symptômes suivants :

  • Un pouls accéléré;
  • De la transpiration abondante;
  • De la panique;
  • Une incapacité étrange à penser avec clarté.

Ce stade passe, il ne faut pas s’inquiéter. Après le choc initial, procédez à l’étape 1, ci-dessous.

  1. Respirez. Détendez-vous. Lisez la plainte à nouveau. Répétez au besoin.

La plupart des avocats n’ont aucunement l’intention de se conduire d’une manière qui mérite une plainte au Barreau et, dans de nombreux cas, les plaintes sont déposées par (a) des clients mécontents qui tentent de faire baisser le montant de votre facture; (b) des parties adverses mécontentes contrariées par le résultat du litige qui croient que vous les avez, d’une manière quelconque, roulées dans la farine; ou (c) des avocats de la partie adverse qui sont insatisfaits de votre conduite, à tort ou à raison.

Dans certains cas, les allégations que contient une plainte au Barreau sont sans fondement, exagérées ou fabriquées de toutes pièces. C’est pourquoi il est important de lire la plainte attentivement et de vous assurer que ce qui y est allégué est exact avant de sauter en esprit vers un scénario catastrophique.

Une fois que vous avez la certitude de ce qui est allégué et que vous avez réfléchi aux erreurs ou aux faits potentiels que contient la plainte, passez à la deuxième étape.

  1. Commencez à préparer votre réponse.

Commencez immédiatement à préparer votre lettre de réponse à la plainte. Comme membre du Barreau, vous devez répondre rapidement aux communications de votre ordre professionnel. De plus, un délai précis pour répondre à la plainte est probablement indiqué dans la lettre que vous avez reçue. La pire chose à faire est d’ignorer la plainte, car elle ne disparaîtra pas sans geste de votre part. Même si votre horaire est chargé ou que vous préparez un appel ou une instance, vous devez prendre le temps de répondre à la plainte.

S’il vous est impossible de répondre dans le délai imparti, il vaut toujours mieux écrire au Barreau en faisant référence à la plainte afin d’indiquer que vous préparez une réponse qui sera livrée « à telle date ». Le Barreau saura ainsi, au moins, que la plainte a été reçue, que vous préparez une réponse et que celle-ci lui sera fournie aussi tôt que possible. Vous devez cependant proposer un délai raisonnable; ne dites pas, par exemple, « vous aurez ma réponse l’an prochain ».

Commencez par examiner tous les documents et toute la correspondance reliés à la plainte. Pour gagner du temps, ajoutez des onglets aux documents et à la correspondance au fur et à mesure, comme si vous prépariez un affidavit pour un client. Dans ce cas-ci, vous serez votre propre client, et vous devez prendre chaque plainte au sérieux et vous défendre avec vigueur.

Placez les documents et les éléments de correspondance pertinents en ordre logique, c.-à-d. d’abord les notes/registres pour la consultation initiale, puis l’entente de services juridiques, suivie de courriels du client en colère, d’ébauches de plaidoyers, d’autres courriels du client en colère, puis, enfin, de la correspondance qui a mené (le cas échéant) à la fin de l’entente de service. Le processus est essentiellement le même lorsque la plainte est déposée par une partie adverse ou un avocat de la partie adverse.

Plus votre réponse est complète en ce qui concerne les preuves documentaires, plus votre défense sera crédible. C’est aussi simple que cela.

  1. Rédigez un récit logique et donnez des détails.

Bien souvent, les plaintes des clients ou des avocats allèguent une faute en s’appuyant sur des faits pris hors contexte. Peut-être que vous avez vraiment assuré qu’un plaidoyer serait rédigé dans la semaine, puis que vous ne l’avez pas remis à temps. Mais peut-être aussi que vous avez fait cette promesse avant que le client ne dépose cinq caisses de documents sur votre bureau, modifiant ainsi fondamentalement les faits qui vous avaient été exposés lors de la consultation. Le contexte est crucial. Si vous pouvez fournir ce type de détails avec des dates, des heures, des emplacements, les personnes qui participaient à la conversation, etc., votre réponse sera d’autant plus crédible.

Votre réponse peut prendre le format de votre choix, mais il est généralement acceptable de rédiger  une lettre de déclaration, avec des onglets pour les documents inclus et de nombreux titres pour diviser le récit. Cela rendra votre réponse facile à lire et permettra au Barreau d’efficacement consulter les documents que vous incluez pour étayer votre version des faits.

Un conseil au sujet du contenu de votre réponse : SOYEZ HONNÊTE. Un avocat est un officier de justice. Vous avez l’obligation éthique et morale de faire preuve d’honnêteté au sujet de ce qui s’est produit, et ce devoir s’étend à la tentation désastreuse de sélectionner uniquement les faits qui vous exonèrent.

Pour vous défendre, il est plus sûr de faire preuve de candeur et de franchise. Admettez votre faute ou vos manquements le cas échéant, et ne niez que ce que vous pouvez nier avec honnêteté et crédibilité. Si vous avez effectivement commis une faute, votre acceptation de ce fait et votre désir de vous racheter contribueront grandement à établir votre crédibilité et votre mérite d’obtenir une deuxième (ou troisième) chance. Ce que le Barreau n’acceptera pas et ce que, comme avocat, je ne peux approuver (mes collègues seront d’accord), c’est la malhonnêteté. Ne pas admettre ses propres manquements est une tendance sociale courante. Une plainte au Barreau n’est pas le moment de vous l’approprier.

  1. Retournez à la maison, allez courir, pratiquez votre activité favorite

La vie continue, même après une plainte au Barreau. Souvent, le Barreau fait enquête, examine votre réponse et détermine si des sanctions sont requises ou si la plainte doit être rejetée. D’une manière ou d’une autre, vous n’avez aucun contrôle sur le processus. Entre-temps, vous avez encore une carrière et, ce qui compte davantage, un conjoint, des enfants, des parents, des frères et sœurs, des passe-temps et d’autres raisons d’effectuer un retour à la normale.

Au début de ma carrière, je travaillais dans un très grand cabinet, et l’un des partenaires appelait la peur de l’échec ressentie par les jeunes avocats « l’océan du doute ». Il disait : « l’océan du doute est profond, sombre, et rempli des monstres que crée votre imagination. N’y perdez pas votre temps. »

Ce concept s’applique bien à une plainte au Barreau. Lorsqu’un ancien client a menacé de se plaindre de moi (et d’autres avocats du même bureau) au Barreau, j’ai remis en question mes compétences comme avocat, même si je savais que je n’avais commis aucun impair. Je me suis demandé si j’aurais plutôt dû étudier en médecine, si j’aurais dû poursuivre ma carrière précédente, comme musicien professionnel. Si j’allais être le prochain grand titre du Law Times. Si ma famille me verrait comme ayant échoué, si mon fiancé allait perdre de l’estime pour moi, si mon parti politique refuserait d’appuyer ma nomination, etc. En d’autres mots, je sombrais rapidement dans l’abîme du doute.

Pour encore empirer les choses, le jour où j’ai reçu la menace, je devais assister à un mariage. J’ai passé tout l’événement à essayer de trouver comment dire à ma famille et à mon fiancé que je pouvais être dans l’eau chaude. Je n’ai eu aucun plaisir.

En y repensant, c’était une erreur. J’aurais dû me secouer, boire un verre, attraper mon saxophone et jouer Disco Inferno avec l’orchestre. Parce que la vie a continué, et ma carrière aussi. La menace de plainte était sans fondement, et j’ai malheureusement gaspillé de précieuses heures de ma vie lors d’un événement que je ne peux pas revivre, à cause de la plainte déraisonnable d’une tierce personne. On en apprend tous les jours…

  1. N’oubliez pas : ça peut arriver à tout le monde.

C’est d’abord à mon associée et mentor au bureau que j’ai parlé de la menace de plainte. Elle a intuitivement senti l’horreur que je ressentais et m’a donné le bon conseil suivant : « Cela arrive à tous les avocats à un moment ou à un autre; s’ils ne font pas l’objet de plaintes, c’est qu’ils ne travaillent pas assez fort. »

Soyons clairs : personne ne souhaite faire l’objet d’une plainte au Barreau et, surtout, personne ne devrait se comporter de manière à provoquer une plainte fondée. Mais les plaintes au Barreau font partie de la vie pour les avocats, dont les activités dépendent souvent de gens litigieux, qu’ils soient clients ou avocats, qui sont susceptibles de se plaindre quand ils sont mécontents et qui peuvent, croyez-le ou non, avoir de la difficulté à voir les deux côtés d’une situation. Les clients en litige, par exemple, sont des gens qui assignent le blâme; c’est la raison pour laquelle ils ont retenu vos services. Qu’est-ce qui vous a permis de croire que vous seriez à l’abri de leurs critiques ?

  1. Tout le monde devrait vivre le processus d’une plainte au moins une fois.

Jamais vous ne comprendrez aussi bien l’importance des dossiers détaillés, des notes se service, notes et registres d’appels que lorsque vous devrez examiner votre propre dossier pour préparer votre réponse. Vous vous direz « Je sais que j’ai reçu ces instructions, pourquoi donc est-ce que je ne trouve nulle part la note au dossier m’indiquant que le client m’a dit d’agir ? »

La menace d’une plainte m’a, tout simplement, forcé à devenir un meilleur avocat. J’ai constaté les déficiences de ma prise de notes, vu à quel point mes dossiers pouvaient être plus détaillés et compris comment les clients peuvent modifier nos paroles en l’absence de documents écrits. Le processus de préparation d’une réponse vous force à vous autoévaluer et à critiquer votre propre travail. Vous devenez le « défendeur ». Tout comme vous pourriez dire à un client « votre affaire serait fantastique si seulement vous aviez une note relative à cette réunion dont vous dites qu’elle a eu lieu », vous vous entendrez dire « si j’avais une lettre de rapport, je pourrais démontrer que j’ai averti le client des risques qui ont maintenant causé la réclamation. »

Malheureusement, si vous n’avez pas bien documenté et préparé votre dossier, il se peut que vous n’ayez pas les documents dont vous avez besoin pour prouver votre version des faits.

Une plainte et le processus pour y répondre constituent donc une occasion d’apprentissage précieuse.

Conclusion : mes leçons.

La morale de l’histoire est que la réception, la défense et la gestion des plaintes au Barreau font partie de la vie professionnelle d’un avocat. Nous pouvons faire de notre mieux et nous comporter avec civisme, honnêteté, professionnalisme et courtoisie, puis gérer les conséquences le cas échéant, et c’est le mieux que nous pouvons faire.

Je n’ai pas hâte à la prochaine plainte contre moi. Mais je sais que ça se produira, et comme j’en suis certain, je suis certain que je sais comment y répondre. Je prendrai une inspiration, j’examinerai la plainte, et je préparerai ma réponse avec calme et sang-froid afin de démontrer au Barreau que je n’ai pas commis de faute. Si j’ai commis une erreur, par contre, je l’admettrai. En fin de compte, je retournerai chez moi à la fin de la journée et ma vie et ma carrière se poursuivront.

À propos de l’auteur

Lionel Tupman est partenaire et avocat chez WEL Partners. Sa pratique se concentre sur une vaste gamme de questions de litiges reliées aux successions et aux fiducies, y compris la responsabilité professionnelle, l’abus de confiance et le litige administratif, avec un accent particulier sur les questions de violation des obligations fiduciales. 

En 2014, Lionel a été candidat au Parlement provincial de l’Ontario, et il demeure actif en politique provinciale et fédérale, intervenant régulièrement auprès de comités législatifs pour déposer des propositions relatives à des projets de loi.

Lorsqu’il n’est ni au bureau ni au palais de justice, Lionel joue du saxophone dans un groupe de blues qui se produit régulièrement à travers l’Ontario pour diverses causes caritatives.

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