Man and Woman standing on arrows up, looking through telescopes

À quoi ressemblera la pratique du droit en 2027?

  • 18 décembre 2016
  • Propos recueillis par Sam R. Sasso

L’année se termine bientôt, nous attendons 2017 avec impatience et réfléchissons à toutes nos réussites. En 2017, ce sera le 150e anniversaire de la Confédération du Canada et le 120e anniversaire de la création du Barreau du Haut-Canada; la société a réalisé d’énormes progrès et la profession du droit aussi. Au cours des 10 dernières années seulement, nous avons assisté à la réglementation de la pratique des parajuristes qui ont obtenu le statut de titulaire de permis qui est régi par le Barreau du Haut-Canada (2007), à l’introduction du programme obligatoire de perfectionnement professionnel permanent (2011) et à la mise en œuvre du programme de pratique du droit (2014), programme qui sème par ailleurs la controverse.

Nous avons demandé à sept avocats de sortir leur boule de cristal pour nous donner leurs prédictions sur l’avenir de la pratique du droit en 2027. Les voici :

« […] les changements que nous pensions voir poindre dans 10 ans se matérialiseront dans 5 ans […]. »

Le Barreau du Haut-Canada, après avoir autorisé des non-juristes à détenir des entités fournissant des services juridiques peu de temps après la fusion de tous les ordres professionnels régionaux en une seule entité, aura alors publié la deuxième édition de son classement définitif des professions juridiques. Avec l’ajout du gestionnaire de projets juridiques, du technologue juridique et du comptable juridique aux catégories actuelles que sont le parajuriste, le notaire et l’avocat, le nombre total de titulaires de permis réglementés s’élèvera pour la première fois à plus de 200 000 à l’échelle nationale. En raison de réformes significatives visant à instaurer des systèmes d’arbitrage dans tout le pays, le nombre de soi-disant avocats « en pratique privée » se maintiendra à environ 20 000. Comme les cycles générationnels s’accélèrent, les changements que nous pensions voir poindre dans 10 ans se matérialiseront dans 5 ans, alors que ceux que nous pensions voir poindre dans 25 ans se matérialiseront dans 10 ans. Je vous laisse donc le soin de déterminer à quel moment ma prédiction s’applique.

-    Colin Lachance est le directeur général de Maritime Law Book, fournisseur de la base de données juridique compass.law. MLachance a donné de nombreuses conférences sur des questions touchant les technologies et l’expansion des marchés dans le domaine juridique. Il pratique aussi le droit au sein du cabinet Momentum Business Law.
 

« Les avocats deviendront le fer de lance de nouveaux produits et services. »

Je pense que dans 10 ans la pratique du droit commencera à devenir sensiblement différente de celle d’aujourd’hui, car la prochaine décennie ouvrira la voie pour les changements futurs. D’ici là, je prédis que la recherche et la préparation juridiques seront considérablement moins coûteuses et plus accessibles. Du même coup, je pense qu’il y aura seulement environ la moitié ou le tiers des adjoints actuels.

Plus de gens obtiendront des services juridiques. Un nombre important de personnes qui souhaitent actuellement en obtenir, mais qui n’en reçoivent pas, trouveront finalement ce qu’ils cherchent – les services juridiques à moindre coût et plus accessibles (qui deviennent, heureusement, de plus en plus fréquents) auront un effet catalyseur sur ce changement qui par le fait même classera les services plus coûteux dans une autre catégorie.

Je pense que le plus grand changement qui se produira au cours de la prochaine décennie touchera la façon de rendre des services et d’enseigner le droit. Si l’on retourne quelques années en arrière, on constate qu’il est aujourd’hui beaucoup plus facile et moins coûteux pour un avocat de transformer une idée en un produit, comme une application, un logiciel ou un livre numérique. Les avocats deviendront le fer de lance de nouveaux produits et services. Des outils seront conçus pour répondre à des besoins spécifiques (par exemple, pour la résolution de problème, la prestation d’un service ou l’enseignement d’un principe), tandis que les outils traditionnels seront adaptés ou en grande partie abandonnés.

- Sam R. Sasso est sociétaire chez Ricketts, Harris LLP. Me Sasso se spécialise dans le domaine du litige commercial. Me Sasso a agi dans certaines des plus importantes causes du domaine de l’assurance responsabilité des administrateurs et des dirigeants et dans divers différends importants opposant des actionnaires. Me Sasso a créé une application gratuite par ailleurs, très bien accueillie pour analyser les polices d’assurance des administrateurs et des dirigeants.
 

« […] il n’y aura plus de hiérarchie entre les juristes et les non-juristes et il n’y aura plus de place pour les gros égos. »

Les cabinets juridiques qui connaîtront du succès en 2027 auront adopté une approche opérationnelle axée sur le travail d’équipe, un peu comme une équipe de course de F1. Un bon coureur de F1 ne gagne rien sans le travail d’une bonne équipe, et chaque membre de l’équipe de course est essentiel au succès de l’équipe. Aussi les avocats en 2027 seront perçus comme ayant autant d’importance que les autres membres de l’équipe, et il n’y aura plus de hiérarchie entre les juristes et les non-juristes et il n’y aura plus de place pour les gros égos.

Pour l’aider à connaître du succès, le cabinet saura mettre à profit les compétences diversifiées de non-juristes. C’est l’équipe qui connaîtra des victoires et des échecs. Autrement dit, le cabinet accordera une pondération beaucoup plus importante aux objectifs d’équipe et aux objectifs du cabinet qu’aux objectifs individuels. Ensemble, l’équipe célèbrera ses victoires et apprendra de ses échecs.

Le cabinet possédera une culture axée sur le perfectionnement continu et un sens de l’expérimentation avec de nouvelles technologies et de nouveaux processus qui susciteront l’adhésion de ses clients et des membres de son équipe. Il mettra l’accent sur la réduction du risque lié au partenaire clé et il parviendra à se distinguer de ses concurrents grâce à son modèle de prestation de services.

Les clients deviendront réellement des clients du cabinet, plutôt que des clients d’un avocat en particulier.

-   Mitchell Kowalski est le professeur invité de Gowling WLG en innovation juridique à la faculté de droit de l’Université de Calgary. Me Kowalski est également chroniqueur au National Post et il agit à titre de consultant principal pour Cross Pollen Advisory. Suivez-le sur Twitter @mekowalski.

 

« […] je prédis que l’IA remplacera complètement certaines tâches rédactionnelles et tâches routinières au quotidien. »

Dans 10 ans, la pratique du droit aura énormément évolué; elle dépendra principalement de clients à la recherche d’avocats utilisant des moyens différents d’offrir des services et des modes alternatifs de facturation. Dans 10 ans, il y aura beaucoup moins de facturation horaire, puisque les avocats doivent établir de nouveaux barèmes tarifaires qui apportent une valeur probante et davantage de certitude aux clients. Sur le plan interne, les technologies seront plus avancées. L’intelligence artificielle remplacera une grande partie du travail routinier qui est actuellement fait manuellement, car les solutions techniques coûteront beaucoup plus cher. En fait, je prédis que l’IA remplacera complètement certaines tâches rédactionnelles et tâches routinières au quotidien. L’IA sera également utilisée pour prendre des décisions et pour prédire les résultats des litiges. L’analytique sera exploitée et les avocats comprendront mieux les besoins des clients et le service à la clientèle. Les avocats consacreront beaucoup plus de temps à fournir des conseils stratégiques. Finalement, il n’y aura plus de grands bureaux de coin à cause de la hausse vertigineuse des coûts de l’immobilier. Nous verrons davantage de bureaux à aire ouverte ou de style hôtel, puisque le travail à distance commence à être accepté – les avocats peuvent aussi travailler ailleurs que derrière un bureau.

-  Susan Wortzman est la présidente de Wortzmans, un cabinet d’avocats à Toronto qui offre des conseils juridiques et stratégiques en matière d’investigation informatique et de gouvernance de l’information. Parmi les clients du cabinet, il y a des cabinets d’avocats, des entreprises et des organismes gouvernementaux.

 

« […] les anciennes doctrines de champartie et de soutien délictueux appartiendront pour de bon au passé. »

Les mémoires en format papier dans les salles de cours ne seront qu’un lointain souvenir. La diversité ne sera plus une matière à débat. Les innovations technologiques qui ont émergé au cours des dernières années, comme l’intelligence artificielle, deviendront une pratique courante dans certains domaines du droit. Les avocats auront un œil sur la gestion efficace des affaires et ils auront reçu dès le premier jour une formation sur l’aspect entrepreneurial de leur pratique. Il n’y aura presque plus de facturation horaire et les anciennes doctrines de champartie et de soutien délictueux appartiendront pour de bon au passé. Le financement des litiges par des tiers sera un moyen couramment utilisé au Canada par les clients et les cabinets d’avocats pour gérer les coûts et les risques des litiges (nous devons le dire).

- Tania Sulan est la directrice des investissements et Naomi Loewith est une gestionnaire des investissements de Bentham IMF, filiale canadienne de Bentham IMF, une entreprise australienne spécialisée dans le financement de litiges commerciaux. L’équipe compte 10 ans d’expérience dans le domaine du financement des litiges par des tiers, 20 ans d’expérience dans le domaine du litige commercial et des avocats admis au barreau de 4 pays. Et il y a au moins un des membres de l’équipe qui s’est autoproclamé luddite.

« […] les conseils juridiques personnalisés et de qualité supérieure resteront coûteux et hors de portée pour la plupart des personnes. »

En 2027, la pratique du droit ressemblera à celle de 2016 aux yeux des profanes. Les consommateurs qui doivent répondre de leurs actes auront plus moyens à leur disposition pour trouver de l’information juridique détaillée, notamment sur des questions se rapportant aux relations entre un propriétaire et un locataire, à des affaires criminelles et familiales. Toutefois, les conseils juridiques personnalisés et de qualité supérieure resteront coûteux et hors de portée pour la plupart des personnes. En raison de l’escalade des frais de scolarité pour des études en droit, du coût de la vie élevé dans les centres et du manque de modes alternatifs d’exercice de la profession, les services personnalisés (pour des questions contentieuses et certaines questions transactionnelles) resteront coûteux.

Sur le plan interne, toutefois, la profession ne ressemblera pas du tout à celle d’aujourd’hui. Les quatre plus grands cabinets de services professionnels continueront de ronger les cabinets de moyenne envergure en ce qui concerne les services juridiques aux entreprises, même si les modes alternatifs d’exercice de la profession continueront d’être tabous. Les grands cabinets d’avocats n’auront pas d’autres choix de fusionner pour se mesurer aux cabinets de services professionnels ou, s’ils le peuvent, de se perfectionner pour créer de la valeur en se spécialisant dans des secteurs où ils pourront dominer – telles des opérations de fusion et acquisition à grande capitalisation. L’effet de la technologie ne sautera pas aux yeux des profanes, mais les professionnels constateront que beaucoup de tâches auront été automatisées, ce qui fait qu’il y aura moins d’avocats juniors et d’adjoints, et que les meilleurs avocats (et ceux qui le deviendront) empocheront plus d’argent.

  • - Sahil Zaman est le cofondateur de Closing Folders Inc., une entreprise spécialisée dans la technologie ayant créé le système de gestion d’opération juridique en ligne qui est le plus utilisé dans le monde. Auparavant, M. Zaman a été soldat, avocat en droit des sociétés et analyste financier; il croit que son travail actuel lui collera à la peau.

 

« […] il y aura toujours de la place pour les avocats brillants et infatigables […]. »

C’est impossible de prédire avec certitude les changements qui s’opéreront dans la pratique du droit dans les 10 prochaines années. Je me souviens du joueur légendaire des Yankees, Yogi Berra, qui a dit : « C’est difficile de faire des prédictions, surtout au sujet de l’avenir. » Toutefois, nous assistons à des changements qui se produisent aujourd’hui et qui, je crois, auront une incidence sur l’avenir du droit au Canada :

  1. La croissance exponentielle des règlements de conflits en ligne Nous assisterons à une augmentation des défis, des coûts et des délais relatifs à la gestion des litiges civils à l’échelle du pays. Au Canada et ailleurs, nous en sommes actuellement aux premières étapes de la mise à l’essai des règlements de conflits en ligne, comme les solutions offertes par Consumer Protection BC. Dans 10 ans, le règlement des conflits en ligne sera une pratique courante.
     
  2. L’accès à la justice posera des défis – Les plaideurs non représentés forceront les gouvernements à examiner la manière d’accéder au système judiciaire. La hausse de plaideurs non représentés – dans le cadre de litiges simples ou de litiges complexes en matière de lésions corporelles, de dossiers en matière familiale, de défenses en matière criminelle ou d’autres types de litiges – obligera la magistrature et le barreau ainsi que tous les ordres de gouvernement à se montrer à la hauteur de la situation, en prenant des mesures audacieuses et courageuses pour régler le problème de l’accès à la justice pour tous les Canadiens.
     
  3. Les avancées rapides en matière de technologie bousculeront la pratique du droit – L’intelligence artificielle suscite beaucoup d’intérêt et d’enthousiasme dans les milieux juridiques, et avec raison" Les capacités informatiques seront nettement supérieures dans 10 ans et il y a actuellement des bouleversements technologiques qui s’opèrent dans plusieurs secteurs au Canada – y compris dans le secteur du droit sous l’influence de l’infonuagique. Les équipes de juristes qui se préparent et qui planifient actuellement auront un bel avenir. Les bons avocats qui font du travail important auront toujours une place au Canada.

-  Peter Carayiannis est le fondateur et président de Conduit Law Professional Corporation, maintenant Deloitte Conduit Law S.E.N.C.R.L./s.r.l. Fort de son expérience en développement des affaires et comme conseiller juridique en droit des sociétés, Me Carayiannis s’affaire a aidé ses clients à concevoir et à mettre en œuvre des stratégies juridiques et commerciales.

[0] Commentaires